Après son précédent long métrage, Un Printemps à Hong-Kong, sorti en 2019 et évoquant de manière sensible mais sans militantisme une histoire d’amour entre deux hommes mûrs face aux traditions de leur pays, le cinéaste Ray Yeung poursuit dans le même registre avec Tout ira bien. Une œuvre remarquable de justesse, récompensée du Teddy Award du meilleur film de fiction à la dernière Berlinale, qui constitue la première grande réussite de cette nouvelle année cinématographique.
Une œuvre remarquable de justesse, récompensée du Teddy Award du meilleur film de fiction à la dernière Berlinale, qui constitue la première grande réussite de cette nouvelle année cinématographique.
Angie et Pat vivent le parfait amour à Hong Kong depuis plus de 30 ans. Jamais l’une sans l’autre, leur duo est un pilier pour leurs parents et leurs amis. Au brusque décès de Pat, la place de Angie dans la famille se retrouve fortement remise en question…
Même s’il s’inscrit parfaitement dans la filmographie du réalisateur et reprend les thématiques abordées dans des œuvres précédentes, Tout ira bien s’intéresse non pas tant à la relation durable entre Angie et Pat, couple lesbien, pendant plusieurs décennies (très joliment révélée néanmoins dans les premières minutes du film, saisissant parfaitement toute la complicité et l’amour qui les unissent) qu’à l’après-traumatisme, ici la mort de l’une des deux protagonistes suite à une crise cardiaque soudaine. Il convient de souligner à ce sujet la grande délicatesse de la mise en scène et surtout du montage : la mort de Pat restera en hors-champ alors qu’Angie s’adresse à sa compagne et qu’aucune réponse n’advient, à la faveur d’un fondu au noir et d’une ellipse spatio-temporelle (le plan suivant montre une urne contenant les cendres de la défunte que la famille ramène à Angie dans l’appartement du début). Cette pudeur et cette transition sont à l’image d’une œuvre qui n’entend pas verser dans le pathos avec de grandes crises de larmes. Bien au contraire. A plusieurs reprises d’ailleurs, ce procédé (le fondu au noir et l’ellipse) sera réemployé avec élégance et intelligence.
Cette pudeur et cette transition sont à l’image d’une œuvre qui n’entend pas verser dans le pathos avec de grandes crises de larmes. Bien au contraire.
Malgré ces quelques considérations, le sujet de Tout ira bien est bien davantage la gestion du deuil, la façon de le ressentir, de le vivre pour celui qui reste mais aussi toutes les ramifications complexes qui en découlent, à commencer par l’impact sur les relations avec la belle-famille qui ne semblait pas jusqu’au drame avoir remis en cause cette « union » (qui n’en était pas vraiment une aux yeux de la loi, les autorités de Hong Kong n’accordant pas le droit de se marier aux personnes de même sexe). Dès le départ, en effet, tous prenaient plaisir à se réunir chez Angie et Pat, dont on mesure qu’elles apportaient une réelle stabilité (voire cohésion) à la petite communauté. De manière progressive, l’entente entre Angie et sa belle-famille se fissure. D’abord sur le respect des dernières volontés de Pat : alors que cette dernière souhaitait voir ces cendres jetées en mer, son frère et sa belle-sœur, suivant les conseils d’une sorte de médium (« afin de protéger les générations à venir »), préfèrent l’enterrer dans un cimetière. Angie accepte mal cette décision d’autant plus que son avis n’est pas pris en compte. Puis, les questions financières et l’héritage creusent un peu plus encore le fossé entre les deux parties. En l’absence de testament écrit et enregistré officiellement, l’appartement spacieux (et convoité, surtout à Hong Kong confronté à des problèmes liés à l’immobilier) revient au frère de Pat, alors qu’Angie avait participé à l’achat du bien immobilier. Une situation mal vécue par cette dernière qui refuse de se séparer d’un lieu qui lui rappelle tant de souvenirs et qui la rattache encore à l’être aimé. Sur un tel canevas scénaristique, on pouvait craindre le pire, à savoir des scènes de disputes virulentes et de règlements de compte, marquées par des cris et autres vociférations, tel qu’il nous est donné à voir dans le cinéma de Maïwenn par exemple. C’est l’inverse qui se produit à l’écran, ce qui n’exclut pas pour autant une certaine violence sociale, bien à l’œuvre derrière la façade pudique de l’ensemble.
L’une des forces de Tout ira bien est d’associer le conflit qui finit par éclater, entre Angie et sa belle-famille, à une homophobie latente tout en lui donnant les traits d’un différend bassement matériel, y injectant des rapports sociaux sur fond de rancœur et de jalousie
L’une des forces de Tout ira bien est d’associer le conflit qui finit par éclater, entre Angie et sa belle-famille, à une homophobie latente tout en lui donnant les traits d’un différend bassement matériel, y injectant des rapports sociaux sur fond de rancœur et de jalousie. Pat et Angie vivaient plutôt aisément alors que le reste de la famille éprouve de sérieuses difficultés, à l’image de l’endettement du frère de Pat qui a vécu de petits boulots précaires et qui a tenté (en vain) de subvenir aux besoins de son foyer. Toute la complexité de cette situation est alors exposée, chaque membre de la famille ayant ainsi ses raisons de vouloir récupérer (ou vendre) cet appartement, y compris ceux qui avaient pourtant beaucoup d’affection pour Angie et leur tante (le neveu manquant d’argent et la nièce dont le couple avec les enfants vivotent). Ainsi, si Ray Yeung brosse un portrait glaçant de la structure familiale (où les intérêts financiers l’emportent sur tout), dénonçant au passage le soi-disant progressisme de la société hongkongaise (qui s’apparente davantage à une forme de conservatisme, comme le prouve cette scène où Angie se retrouve reléguée au statut de « meilleure amie » pour ne pas troubler l’ordre établi), il introduit de nombreuses nuances à son tableau. Les personnages bénéficient de séquences illustrant un quotidien difficile (le travail de femme de ménage de la belle-sœur en est un bel exemple) et ne sont pas présentés de manière manichéenne. Le frère de la défunte était réellement attachée à celle-ci : une scène, très belle, voit Angie, alors qu’elle se rend elle-même au cimetière, surprendre son beau-frère, seul, littéralement fondre en larmes. La nature humaine, les comportements des êtres humains et leurs ambiguïtés, tels sont les éléments que réussit parfaitement à retranscrire le cinéaste.
Face à cela, Angie peut compter sur un groupe d’amies fidèles qui, alors qu’elle s’éloigne de sa belle-famille, constitue pour elle une structure réconfortante et bienveillante. Malgré les moments difficiles qu’elle vit et la décision finale qu’elle prend (se battre devant des tribunaux), il lui reste finalement une chose essentielle : le souvenir impérissable de cette femme aimée, comme le souligne la dernière scène, bouleversante, qui réunit à l’écran Pat et Angie.
RÉALISATEUR : Ray Yeung NATIONALITÉ : Hong Kong, Chine GENRE : Drame AVEC : Patra Au, Maggie Li, Tai-Bo DURÉE : 1h33 DISTRIBUTEUR : Nour Films SORTIE LE 1er janvier 2025