Tre Piani a été tourné en 2019 ; il était prêt pour le Festival de Cannes 2020. En raison de la pandémie actuelle, Nanni Moretti a donc dû patienter pour pouvoir le présenter au Festival de Cannes 2021. C’est un nouveau pari pour le cinéaste italien : réaliser un film pour une fois adapté d’un matériel préexistant et non tiré d’un scénario original. Nanni Moretti s’en tire avec les honneurs, dressant un récit polyphonique autour de trois familles qui habitent et se croisent sur trois étages pendant dix ans dans un même immeuble.
Un soir à Rome, Monica, une femme enceinte, provoque un accident de voiture qui tue une femme à bout portant. Le conducteur, ivre, Andréa, est le fils des juges Vittorio et Dora. Le même soir, Lucio et son épouse Giovanna s’affolent car leur fille Francesca semble s’être égarée dans les rues avec leur voisin, un homme âgé, Renato. Ces trois familles habitent sur trois étages différents d’un même immeuble.
L’accident originel est le prétexte dramatique à une série de thématiques reposant dans l’air du temps : la démence sénile, le spectre de la pédophilie, la crainte de la folie, la corruption institutionnelle, etc. Moretti entrecroise ses différentes histoires avec une certaine maestria, aucune ne prenant le pas sur l’autre, à la manière d’un Robert Altman dans Un mariage ou Short Cuts.
Depuis une vingtaine d’années, Nanni Moretti essaie d’excentrer son cinéma, c’est-à-dire de ne plus faire de son personnage le moteur de son oeuvre. Car au départ, Nanni Moretti insufflait par sa seule présence comique l’inspiration de ses films. Or, comme Woody Allen, à qui il a été souvent comparé, ou Clint Eastwood, ces auteurs-réalisateurs-interprètes qui ont bâti au départ leur oeuvre autour de leur personnage, Nanni Moretti cherche depuis quelques temps à se renouveler et à ne plus s’accorder le bénéfice du rôle principal. C’était déjà le cas dans Le Caïman où il s’attribuait le rôle de l’antagoniste, Silvio Berlusconi. Il n’était plus qu’un simple second rôle dans Habemus Papam face à l’immense Michel Piccoli ; idem face à Margherita Buy dans Mia Madre. Cette fois-ci, il n’est plus qu’un personnage parmi tant d’autres dans la fresque polyphonique qui prend place dans Tre Piani, prétexte à la description en coupe de la société italienne à travers trois portraits de famille sur dix ans. Il disparaît même lors d’une bouleversante ellipse aux deux tiers du film, histoire de dire que l’oeuvre peut désormais continuer sans son personnage.
Exit donc Moretti, bienvenue aux autres. Tre Piani, convoquant la fine fleur de l’interprétation italienne (Margherita Buy, Ricardo Scamarcio, Alba Rochwacher), se présente comme une oeuvre de maturité où comme le dit Dora lors d’un de ses messages au répondeur téléphonique de son mari, « la vie est bien plus grande qu’un immeuble« . L’accident originel est le prétexte dramatique à une série de thématiques reposant dans l’air du temps : la démence sénile, le spectre de la pédophilie, la crainte de la folie, la corruption institutionnelle, etc. Moretti entrecroise ses différentes histoires avec une certaine maestria, aucune ne prenant le pas sur l’autre, à la manière d’un Robert Altman dans Un mariage ou Short Cuts.
La principale accusée du film paraît être la masculinité toxique, que ce soit par sa présence ou son absence. Absente lorsqu’elle laisse à l’abandon une mère quasiment célibataire (troublante Alba Rochwacher) à la limite de basculer dans la folie. Présente, trop présente, lorsqu’un père inquiet craint un abus sexuel sur sa fille, de la part d’un vieux voisin en qui il projette de vieux démons. L’objectif essentiel du film consiste ainsi à atteindre une sorte de réconciliation entre tous les personnages et à l’intérieur d’eux-mêmes. Mais la réconciliation serait-elle hors d’atteinte? Le vieux voisin si affectueux envers une petite fille serait-il un délinquant sexuel qui s’ignore? Un jeune homme ivre se préoccupe-t-il véritablement des dommages collatéraux de l’accident qu’il a provoqué? Une mère au foyer peut-elle rester sage comme une image, alors que la démence la guette? Les choses ne sont pas si simples. Cet enseignement d’une belle tolérance postérieure au doute confère une admirable dimension symbolique au film.
S’il est possible d’exprimer un léger bémol sur cette oeuvre, il concernera essentiellement la forme très télévisuelle et peu travaillée, comme dans la plupart des films de Moretti. On peut apprécier Moretti et considérer objectivement que, sur le pur style cinématographique, il se révèle être plutôt plat et ne peut décemment rivaliser un seul instant avec les grands cinéastes italiens de l’Age d’Or (1945 à 1975), de Rossellini à Pasolini; Ainsi, la conclusion a priori lyrique et constituée de danses diverses de Tre Piani, ne décolle jamais vraiment, par manque d’esthétisme et de rythme interne. Moretti n’a jamais fait partie des formalistes et n’en fera jamais partie. Son tribut relève d’un ordre différent : la manière de réconcilier un tissu humain et social quelque peu meurtri. Tre Piani devrait pouvoir soigner quelques plaies.
RÉALISATEUR : Nanni Moretti NATIONALITÉ : Italienne AVEC : Margherita Buy, Alba Rochwacher, Nanni Moretti, Ricardo GENRE : Drame DURÉE : 1h59 DISTRIBUTEUR : Le Pacte SORTIE LE 10 novembre 2021