Jusqu’à la garde : violence et passion

Il se passe incontestablement quelque chose dans le cinéma français. Après Julia Ducournau et Hubert Charuel, c’est au tour de Xavier Legrand d’investir nos écrans. Auréolé du Lion d’Argent à la dernière Mostra de Venise et du Lion du Futur pour la meilleure première oeuvre, ce jeune réalisateur de 39 ans nous propose pour son premier film une oeuvre sur les violences conjugales, sujet ô combien d’actualité dans la polémique contemporaine autour du #MeToo. Tout le propos de Jusqu’à la garde consiste à éviter l’écueil du film-dossier sur un sujet de société et à lui réinsuffler la puissance dramatique du cinéma. Ce pari est-il réussi?

Il se passe quelque chose dans le cinéma français. Après la génération flirtant avec la comédie, sous l’emblème d’un Vincent Macaigne, (Guillaume Brac, Justine Triet, Antonin Peretjatko), voici la nouvelle génération du cinéma français qui réinvestit le film de genre dans des films dramatiques.

Les Besson divorcent. On pourrait penser à un film de divorce comme au hasard dans les années antérieures Les Berkman se séparent de Noah Baumbach, Une Séparation d’Asghar Farhadi ou La Séparation de Christian Vincent. Oui mais Jusqu’à la garde contient un élément dramatique non négligeable, celui de la violence conjugale. Au départ, les Besson sont réunis dans le bureau d’une juge aux affaires matrimoniales qui va décider de la garde alternée de leur fils de 11 ans. La séquence, d’une quinzaine de minutes, va exposer à tour de rôle les points de vue du mari et de la femme, présentés par leurs avocats respectifs. Qui manipule qui? Qui maquille la vérité? Partant du présupposé favorable qu’un mauvais conjoint ne fait pas forcément un mauvais parent, la juge va attribuer une garde alternée au père.

On pourrait croire que le film est tombé alors dans le piège du film-débat, avec une installation trop balisée des adversaires. Ce n’est qu’une apparence: grâce à la rigueur de ses cadres (seule la personne qui parle est cadrée) et la préciosité du langage juridique, Xavier Legrand met en place un jeu de dupes où seule la parole compte au détriment des faits. Qui dit la vérité? Miriam Besson qui se victimise au maximum en invoquant des témoignages qui semblent douteux? Ou Antoine Besson qui semble donner toutes les garanties d’un bon père de famille? A partir de là, Xavier Legrand va quitter le point de vue de la juge pour adopter ensuite celui de l’enfant, Julien, qui va tout faire pour éviter de confronter ses deux parents lors de l’alternance de la garde, puis celui de Miriam. De cette structure tripartite, il tire le meilleur parti, resserrant l’intrigue jusqu’à un final stupéfiant, convoquant les influences de La Nuit du Chasseur ou de Shining, se passant lors d’une semi-obscurité, choix risqué de mise en scène qui se révèle extrêmement payant, tout comme celui de sa direction d’acteurs. On avait évidemment remarqué le talent de Léa Drucker mais il explose à la vue de tous, dans ce rôle de femme soi-disant victime. Elle était déjà l’actrice principale de Avant que de tout perdre, le précédent court métrage remarquablement anxiogène de Xavier Legrand, visible sur Netflix, nommé aux Oscars et couronné aux César, qui traitait également des violences conjugales. Denis Ménochet, l’inoubliable Monsieur Lapadite de Inglourious Bastards, prend ici une nouvelle dimension d’homme blessé et monstrueux. Quant au petit Thomas Gioria, avec lui, nous sommes bien loin des démonstrations de cabotinage de ses collègues ; souffrant et frémissant, il représente le coeur du film.

Il se passe quelque chose dans le cinéma français. Après la génération flirtant avec la comédie, sous l’emblème d’un Vincent Macaigne, (Guillaume Brac, Justine Triet, Antonin Peretjatko), voici la nouvelle génération du cinéma français qui réinvestit le film de genre dans des films dramatiques. Peut-être plus insidieusement qu’une Julia Ducournau qui affronte de plein fouet le film de genre, c’est avec les films d’Hubert Charuel et donc d’un Xavier Legrand, revendiquant l’influence d’Hitchcock, Chabrol ou Haneke, que le film de genre s’installe tranquillement dans le paysage du cinéma français.

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RÉALISATEUR : Xavier Legrand 
NATIONALITÉ :  française 
GENRE : drame, thriller 
AVEC : Léa Drucker, Denis Ménochet, Thomas Gioria 
DURÉE : 1h34 
DISTRIBUTEUR : Haut et Court 
SORTIE LE 7 février 2018