Juvenile Court est le troisième et dernier volet de la trilogie Il était une fois l’Amérique présentée dans nos salles de cinéma en ce moment, regard porté sur trois films emblématiques du travail documentaire du réalisateur américain Frederick Wiseman. Sorti initialement en 1973, il nous plonge au cœur du tribunal pour mineurs de la ville de Memphis. Sa durée relativement longue par rapport aux deux précédents volets témoigne d’un souci du documentariste de suivre les protagonistes du drame – car il s’agit bien d’un film monté comme un drame social – sur la longueur, des premiers entretiens avec l’assistante sociale, le psychiatre ou le personnel du tribunal en général jusqu’à l’audience proprement dite qui se conclut par la décision rendue par le juge Turner qui préside. Les mineurs suspects les plus dangereux y sont maintenus en détention le temps de leur passage devant le tribunal : séances de gymnastique dans la cour de la prison, histoire de rester en forme.
Les raisons qui les y amènent sont diverses mais résultent toutes d’un mal-être lié au passage difficile de l’adolescence. Le motif de la fugue est récurrent. Cette jeune fille ne sait plus vraiment pourquoi elle a fugué alors qu’en apparence elle semble bénéficier de tout le confort et de la chaleur humaine que lui apportent ses parents attentionnés, tandis que cette autre manque cruellement de parents qui la surveillent d’un peu plus près d’autant plus que son attitude en classe n’est pas conforme à ce que l’on attend généralement d’un élève et révèle une faillite de l’éducation – qu’elle provienne des parents ou de l’école. La réponse pour chacune des deux ne sera pas la même et c’est à travers le dialogue incessant des acteurs du drame que se dénoue la situation complexe de jeunes garçons ou filles plus ou moins en errance. L’une retrouvera son foyer tandis que l’autre intégrera une famille d’accueil propre à s’occuper d’elle. L’enfant peut prendre cela comme une punition mais entre la volonté de punir et le projet de réhabiliter les personnes, la justice doit placer le curseur au bon endroit et ce ne semble pas être une tâche si facile qui incombe au juge.
C’est à travers le dialogue incessant des acteurs du drame que se dénoue la situation complexe de jeunes garçons ou filles plus ou moins en errance.
Mais parfois ce dialogue dérape et peut s’interpréter plutôt comme un travail d’endoctrinement comme c’est le cas de ce jeune garçon drogué auprès duquel un prêtre et son acolyte s’affairent afin de le ramener sur « la voie de Dieu », avec un certain succès d’ailleurs. Ils semblent être en charge d’un programme pour les adolescents égarés – du troupeau en l’occurrence – appelé « Teen Challenge ». C’est alors à un véritable enrôlement que l’on assiste, prières à l’appui et soumission à Jésus. Etrange que cette présence autorisée par le tribunal en son sein mais après tout nous sommes en pays très croyant et les Etats-Unis n’auront jamais fini de nous étonner sur ce plan comme sur bien d’autres. En outre, le dialogue ne parvient pas toujours à obtenir une vérité sûre et certaine. Comme dans le cas de ce jeune garçon soupçonné d’avoir procédé à des attouchements sur une petite fille dans le cadre de son rôle de baby-sitter, ce dernier niant absolument les faits tandis que la mère de l’enfant, reçue dans le bureau du juge, raconte une histoire qui accable l’adolescent. Parole contre parole. Même si le profil psychologique de ce dernier, passé devant le psychiatre, apparaît plutôt inquiétant, ce qui joue en sa défaveur. Là encore, l’intérêt du suspect est pris en compte et un suivi thérapeutique est ordonné par le juge. Ce qui paraît être la moindre des choses au vu des faits pour lesquels il est appelé à comparaître. Mais il n’y a pas de preuve irréfutable. La justice a donc tranché.
Le juge Turner privilégie toujours le dialogue et le film est entrecoupé de scènes se déroulant dans son bureau où il reçoit les victimes ou leurs parents, les avocats et autres parties rattachées à l’affaire afin de prendre une décision la plus juste et la plus mesurée possible. Car dans deux affaires au moins, le tribunal est sur le point de renvoyer le cas devant les assises, c’est-à-dire à faire en sorte que le suspect soit jugé comme un adulte. Or, on sait que les mesures de réhabilitation dont bénéficient les mineurs ne sont pas de mise pour les adultes et que la peine encourue est sensiblement plus sévère, comme c’est le cas de ce jeune garçon de dix-sept ans qui a joué le rôle du chauffeur dans un hold-up et qui est envoyé en maison de redressement tandis qu’il risquait vingt ans de prison devant la justice des adultes. C’est sur un fil que se joue au tribunal de Memphis la vie et l’avenir de nombre d’adolescents qui ont eu le malheur de s’égarer un peu trop du droit chemin. Un portrait humain et en gros plan de la justice et des jeunes Américains qui y font face.
RÉALISATEUR : Frederick Wiseman NATIONALITÉ : Etats-Unis GENRE : Documentaire AVEC : le juge Turner, anonymes DURÉE : 2h23 DISTRIBUTEUR : Météore Films SORTIE LE 11 septembre 2024