Hospital : le corps souffrant de la misère

Hospital est le deuxième volet de la trilogie consacrée au documentariste Frederick Wiseman dans le cadre de la restauration en 4K de ses films sous le titre de Il était une fois l’Amérique. Il est réalisé en 1970 et obtient la même année deux Emmy Awards pour le meilleur film documentaire et le meilleur réalisateur. Nous sommes dans un grand hôpital public à Harlem, le quartier noir de New York, aux urgences du Metropolitan Hospital. C’est en effet toute l’Amérique des pauvres qui se presse en foule à ses portes, sans distinction de race ou d’âge, d’un tout jeune enfant noir sans foyer qui n’a plus d’endroit où aller à un vieillard en butte à la violence des rues qui ne peut plus rester vivre seul chez lui. C’est alors que l’aide sociale est censée prendre la relève et l’hôpital de passer le relais. On se rend vite compte qu’il est le lieu de rassemblement de tous les maux qui rongent la société, de l’alcoolisme à la violence des rues en passant par la toxicomanie.

Les patients en souffrance s’entassent dans une salle d’attente pleine à craquer – l’un des leitmotivs du film – et on s’imagine que le temps doit paraître long, en fonction de l’urgence des cas, avant de rencontrer un médecin.  Ce qui frappe surtout, c’est que les pathologies dont souffrent les hommes et les femmes qui viennent livrer leur corps en toute confiance à l’expertise des médecins naissent d’une très grande misère sociale. La plupart du temps, n’ayant pas de mutuelle de santé, ils attendent que leur cas soit devenu très grave avant de consulter à l’hôpital. Les dents de celui-ci partent en morceaux, celle-là ayant déjà eu une alerte cardiaque par le passé se voit allongée sur un brancard en phase critique, quand un autre – un père de famille – redoute – et ne souhaite pas – d’être hospitalisé pour ne pas laisser seuls ses enfants à la maison.

Ce qui frappe surtout, c’est que les pathologies dont souffrent les hommes et les femmes qui viennent livrer leur corps en toute confiance à l’expertise des médecins naissent d’une très grande misère sociale.

Un psychiatre se bat au téléphone avec la directrice d’un centre social pour faire accepter l’un de ses malades schizophrène, un jeune homosexuel mineur qui tapine pour gagner de l’argent et survivre à la dure loi de la rue. Le ton monte et le médecin doit se montrer pugnace et virulent pour obtenir le bien de son patient. Les médecins se montrent impliqués, sans cesse actifs, luttant pour la vie et le bien de leurs patients dans des espaces parfois exigus, le geste sûr et appliqué, passant d’un corps à un autre, d’une pathologie à l’autre se dévouant entièrement à leur tâche. Mais les malades emplissent littéralement un écran saturé par leur présence en continu tout au long du film, comme si tout cela n’avait jamais de fin et était voué à recommencer sans cesse. Car c’est la société qui est malade, malade de ses pauvres qui croissent en nombre et constituent une grande partie du quartier de Harlem, en cela symbolique de la misère qui sévit aux Etats-Unis.

Nous sommes emportés dans le tourbillon des patients qui ne cessent d’affluer aux urgences, victimes de la misère et de la pauvreté, s’abandonnant aux mains des médecins et des infirmières qui sont les véritables héros du film plutôt que ce pasteur qui clôt quasiment celui-ci par son sermon au sein de la chapelle de l’hôpital où viennent communier les déclassés, les exclus de la société, qui glorifie Dieu alors que le film dans son entier n’a fait que montrer à quel point le Créateur semblait s’être désintéressé de ses créatures. Le documentaire s’achève par un zoom arrière montrant le bâtiment de l’hôpital derrière les murs duquel se cache la misère. Mais alors que toute l’Amérique préfère l’ignorer, Wiseman, lui, la montre.

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RÉALISATEUR : Frederick Wiseman
NATIONALITÉ :  Etats-Unis
GENRE : Documentaire
AVEC : Anonymes
DURÉE : 1h24
DISTRIBUTEUR : Météore Films
SORTIE LE 11 septembre 2024