A l’Etrange Festival, on procède parfois joyeusement à l’envers. Dimanche fut le jour du pardon et de l’émotion ; lundi, celui de la vengeance et de l’action. Ce lundi, deux histoires de vengeance, deux « revenge movies » à vous retourner les tripes et chavirer le coeur, aussi semblables que différentes, similaires sur le fond, distinctes quant à la forme.
On connaissait plutôt le jeune cinéaste turc Can Evrenol pour ses films d’horreur lovecraftiens (Baskin, Housewife). Il opère ici un changement complet de registre tout en gardant la même efficacité, en choisissant le film de vengeance, avec Sayara, où une jeune femme de ménage d’un club de gym qui, suite au viol et au meurtre de sa soeur par une bande de riches jeunes gens, va se métamorphoser en furie vengeresse, en suivant les enseignements de son père, un ex-commandant des forces armées du Turkménistan. Autant le dire tout de suite, Sayara n’est pas à mettre sous tous les yeux, tant son ultra-violence n’a guère d’équivalent dans le cinéma contemporain. On pourrait croire sur le papier que Sayara reproduit le schéma très classique des films de vengeance hyper-bourrins. C’est presque vrai à deux originalités près qui font toute la différence : c’est une femme qui va assumer la vengeance et donc assurer tous les combats à mains nues ou au mieux à l’arme blanche ; le film fonctionne par flash-backs réguliers, donnant un arrière-plan du passé, où l’on retrouve son père qui lui enseigne l’art du Sambo, un art martial très spectaculaire et sauvage qui mélange judo, boxe et lutte. Les combats au sol, en particulier dans la dernière partie du film, dans ce qu’on peut appeler pudiquement la scène de la salle de séjour, sont extrêmement impressionnants, n’hésitant pas à montrer les os qui craquent et le sang qui jaillit. Car Sayara, en voulant venger sa soeur, s’en prend aussi à tout un système patriarcal, où les coupables sont acquittés grâce à un député corrompu. Can Evrenol donne ainsi une résonance toute politique à son film de vengeance féministe. Un choc, assurément, à déconseiller aux âmes sensibles. Sayara n’a pas usurpé son interdiction aux moins de seize ans, interdiction pourtant de plus en plus rare de nos jours.
C’est un peu la même vengeance qui se trouve à l’oeuvre dans Mandy : à la place d’une soeur, c’est une épouse que souhaite venger le protagoniste du film. Pourtant la forme diffère complètement : au lieu d’un film naturaliste aux scènes d’action spectaculaires, place à un film d’atmosphère aux images et aux couleurs oniriques. Faisant partie de la carte blanche de James G. Thirwell, aka Foetus, un musicien légendaire, à la fois compositeur, arrangeur, producteur et chanteur. Mandy oscille sur la ligne de crête entre trip hallucinatoire et psychédélique et nanar plus ou moins volontaire et assumé. Méfions-nous de Panos Cosmatos, il aurait un projet en 2025 avec Kristen Stewart et Oscar Isaac, Flesh of the Gods. Présenté en 2018 à Cannes dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs, Mandy a toujours profondément divisé, certains y voyant le plus beau des cauchemars et d’autres, un navet parmi ceux existant dans la filmographie récente de Nicolas Cage. Pour être honnête, le film réussit à concilier ces deux aspects, en étant fascinant dans sa première partie (cette ouverture sur Starless de King Crimson, l’un des plus beaux morceaux de rock de tous les temps, dont il se murmure qu’il serait le dernier à avoir été écouté par Kurt Cobain avant son suicide, cette lenteur moite qui affecte l’ensemble des scènes, ce travail hallucinant sur les couleurs et le son, via la dernière bande originale, musique quasiment contemporaine, du regretté Jóhann Jóhannsson, la beauté quasiment préraphaélite de Andréa Riseborough ) et plus décevant dans sa deuxième, en versant volontairement dans le scénario elliptique et l’auto-parodie volontaire (cette réplique « tu as déchiré mon tee-shirt« , le regard dément de Nicolas Cage qui provoque plus les rires que l’effroi). Si l’on recherche un plaisir étrange que les films conventionnels ne pourront jamais apporter, autant dire que Mandy remplit bien son contrat. Il a en effet été très applaudi. Aujourd’hui Mandy apparaît presque comme une référence, l’ultime Nicolas Cage movie.