Présenté en avant-première au festival de Sundance en janvier 2024 où il a remporté le prix spécial du jury pour un film dramatique, Didi n’a à ce jour pas trouvé de distributeur en France. C’est le premier long-métrage de son jeune réalisateur Sean Wang. Didi pour sa mère, Wang-Wang pour ses camarades ou encore tout simplement Chris pour les autres, le héros de l’histoire est un jeune garçon de 15 ans d’origine taïwanaise qui vit aux Etats-Unis avec sa mère et sa sœur plus âgée que lui. Didi est en effet l’histoire d’un adolescent dont l’identité est en pleine construction à un moment de sa vie où il doit passer à l’âge adulte ou du moins s’en approcher. L’absence du père – qui travaille à Taïwan et n’a que rarement l’occasion de retrouver sa famille – n’est peut-être pas étrangère au manque de repères dont pâtit l’adolescent. Plutôt timide et renfermé, il traîne avec ses potes dans le quartier où ils vont visiter une fête qui a lieu dans l’après-midi chez l’un d’entre eux, cherchant du regard une certaine Madi dont il est amoureux. La traquant sur Internet via Facebook et osant l’aborder via un logiciel de messagerie instantanée, il fait tout pour lui plaire jusqu’à simuler les mêmes goûts qu’elle alors qu’il n’a fait que se renseigner sur ses préférences via son profil. Il faut dire que le film colle à son époque puisque l’action se situe en 2008, soit 4 ans à peine depuis la création du site. Didi n’ose pas être lui-même, signe de son manque de confiance en lui.
Il s’agit donc de s’inventer une vie. Symboliquement, le scénario choisit la période des vacances scolaires d’été pour donner champ libre aux investigations de son jeune héros. C’est en effet la saison de tous les possibles, ainsi qu’un temps de latence idéal avant le passage au lycée – synonyme d’accès à une relative maturité. Ainsi, Didi se voit progressivement abandonné par ses amis, abandon qui redouble dans la tête de notre jeune héros celui bien involontaire de son père. Didi est marqué par l’abandon, comme par une fatalité qui le poursuivrait. Il fait l’apprentissage de la perte si fondamental à cet âge, perte de l’enfance et de ses illusions. Un sentiment de mélancolie traverse le film comme il hante le personnage merveilleusement interprété par le jeune Izaac Wang, tout en justesse dans son jeu, son attitude, ainsi que les émotions que reflètent les expressions de son visage. Rarement on aura vu un film traiter avec autant de justesse, de tendresse et de subtilité de l’adolescence. Une adolescence brimée, en quelque sorte marginalisée.
Rarement on aura vu un film traiter avec autant de justesse, de tendresse et de subtilité de l’adolescence
Et c’est aussi d’abandon qu’il s’agit lorsque sa sœur doit quitter le cocon familial pour rejoindre l’université dont on comprend qu’elle n’est pas la plus prestigieuse mais correspond au niveau social d’une famille moyenne américaine comme l’est celle de Didi. La chambre vide – débarrassée de ses effets – de celle-ci pointe le vide que rien ne vient combler dans le cœur de Didi. A cette occasion, sa sœur le serre dans ses bras tandis que le jeune garçon peine à lui rendre la pareille, restant debout comme abattu par ce qui lui arrive. C’est que Didi est un handicapé émotionnel, il semble subir des évènements qu’il ne contrôle pas, ne maîtrisant pas ses émotions et se réfugiant seul devant son ordinateur et Internet auquel il demande son aide via des tutoriels – comment embrasser une fille, comment réaliser des vidéos de skate – et un certain sentiment de frustration s’empare de lui que traduit son attitude faussement désinvolte à l’égard de sa mère.
Car Didi a honte de ses origines qui lui sont rappelées par Mandi – « Tu n’es pas mal pour un asiatique » – à tel point qu’il ne se prétend que « semi-asiatique » devant ses nouveaux amis. Car Didi est passionné de skate et fait la connaissance d’une bande de skateboarders dont il devient le caméraman, peut-être un nouveau départ avec de nouveaux amis dans la vie. Car Didi fait tout pour se faire accepter, reniant au passage son identité – il arrache les posters de sa chambre qui pourraient lui porter préjudice auprès de ces derniers. Didi est à la recherche d’une nouvelle identité et préfère s’inventer une vie plutôt que d’accepter la réalité à laquelle il est confronté. Réalité qu’il renvoie à la face de sa mère en la désignant comme une artiste ratée qui « passe son temps à dessiner ». L’injustice de ses propos est à mettre en rapport avec la maladresse si propre à l’adolescence dans l’expression de ses sentiments. C’est que Didi se sent plus seul qu’il n’est en colère contre sa mère. Le film s’offre ainsi à proposer le portrait d’une adolescence qui, pour en être brimée, n’en est pour autant pas moins représentative – le réalisme du film et du jeu d’acteurs est à louer – de ce qu’est toute adolescence vécue par un jeune garçon comme Didi, traversée par le sentiment d’abandon, de frustration et d’espoir en l’amour indéfectible d’une mère. Un film universel en quelque sorte et une réussite totale. Ne reste plus qu’à espérer qu’un distributeur se manifeste bientôt pour le diffuser en France.
RÉALISATEUR : Sean Wang NATIONALITÉ : Etats-Unis GENRE : Drame AVEC : Izaac Wang, Joan Chen, Raul Dial, Aaron Chang, Joziah Lagonoy DURÉE : 1h33 DISTRIBUTEUR : SORTIE LE Prochainement