La Mélancolie: L’amour dans les limbes

Watako est une jeune femme mariée. Au matin, elle quitte le domicile conjugal pour rejoindre son amant Kimura. Ils passent une journée charmante au sein d’un camping de luxe comme il en existe tant au Japon. Ils échangent même leurs alliances comme si cela faisait plus vrai et que Watako et Kimura étaient vraiment mari et femme. Mariage idéal qui ne peut paradoxalement s’accomplir qu’entre amants. Est-ce à dire que la cérémonie nuptiale ou plutôt le quotidien du mariage rompt le charme de l’amour? Le film le suppose en tous cas. Conclusion qui peut s’avérer banale. Retour par le train. A la gare chacun va de son côté. Mais Kimura se fait renverser par une voiture. Sur le coup, Watako veut appeler une ambulance puis panique, tellement elle craint que son secret ne soit révélé sans doute, et file droit devant elle. Un peu plus tard, elle apprend qu’il est décédé de suite de ses blessures. Là encore, Watako semble faire comme si de rien n’était, ou presque. Empêchement est mis à exprimer ses sentiments surtout lorsqu’ils sont violents, ce qui n’étonne pas quand on sait à quel point pèse sur les épaules des Japonais cette culture du stoïcisme affectif.

Dès lors se déroule devant nos yeux le quotidien de Watako. Flashes de scènes où elle se voit ensemble avec Kimura aux lieux qu’elle visite, comme en pèlerinage post-mortem pour n’y retrouver finalement que le vide de sa nouvelle vie : elle et lui à l’aéroport regardant atterrir et décoller les avions. Seule, elle abandonne son mari au domicile conjugal pour se cloîtrer dans une chambre d’hôtel et s’allonger sur le lit. Elle oublie le rendez-vous qu’elle s’était fixé avec son mari pour visiter une maison en allant se recueillir sur la tombe de Kimura. Rencontre avec le père du mort qui lui montre les photos de classe de son fils. Encore cherche-t-elle à travers le temps à le rejoindre, d’une façon ou d’une autre. Kimura ne parlait plus à son père depuis le collège. Il ne connaît que très peu sa vie d’après. Elle, Watako, ne connaissait pas sa vie d’avant. D’ailleurs elle ne le voyait pas si timide. Chacun emporte avec lui l’image du défunt tel qu’il le voyait. Tout au long du film les personnages se cherchent, se creusent et déambulent dans les limbes de l’amour. Fuminori, le mari, cherche à comprendre sa femme qui cherche à retrouver l’image de son amant qui a disparu. L’épouse de Kimura cherche à savoir la vérité sur la relation extra-conjugale qu’entretenait son mari.

Tout au long du film les personnages se cherchent, se creusent et déambulent dans les limbes de l’amour.

Il existe comme un fossé entre les attentes de la vie que nourrissent les personnages et la réalité qui n’a de cesse de venir les détromper. Fuminori fait tout pour redonner à son mariage un second souffle mais se heurte au mur de silence voire à l’indifférence trouble de Watako qui se voit elle-même déchirée entre le souvenir de son amant et son mari. La femme de Kimura était trompée. Fuminori est trompé. Watako erre dans un entre-mondes en marge du réel où le deuil semble impossible à effectuer. Jusqu’à la crise ultime qui la délivrera du silence. Car la tension dramatique imperceptiblement se fait de plus en plus pressante avec les révélations qui s’enchaînent, celle du père à sa belle-fille, celle de Watako à son mari. Tout cela au sein d’un même rythme faussement plat et continu qui met en exergue, sous le couvert d’une absence pathologique d’émotions – du moins exprimées par les personnages – remplacées par une gêne perceptible, les temps forts de l’action.

Un petit chef-d’œuvre de délicatesse en somme où le modèle de vie sociale, amoureux plus particulièrement, est mis à mal. En effet, le mariage semble un échec tant les personnages trompent – chacun d’entre eux – leur conjoint(e). Et l’on sent le couple formé par Watako et Fuminori vaciller tout au long du film. L’amour des amants est quant à lui dès l’abord condamné par le destin et voué à n’être plus qu’un souvenir douloureux, un manque dans la vie affective de la jeune femme qui n’en peut mais. Est notable la solitude des personnages, le silence qui envahit l’écran, le vide qui entoure les personnages au sein du cadre, solitude partagée, ce qui est un moindre mal, mais irrémédiable et terrible. Constat alarmant caractéristique d’une société où, plus fort encore au Japon qu’ailleurs, l’isolement social est devenu un phénomène de grande ampleur à tel point qu’en février 2021 le gouvernement japonais avait nommé son tout premier ministre responsable des actions pour combattre la solitude et l’isolement, et créé un bureau pour prendre des mesures adaptées. Un film sobre et discret dans sa réalisation comme dans sa direction d’acteurs qui, pour autant, n’en dit pas moins sur un certain mal-être qui ronge la civilisation occidentale.

3.5

RÉALISATEUR : Takuya Kato
NATIONALITÉ :  Japon
GENRE : Drame
AVEC : Mugi Kadowaki, Kentaro Tamura, Shota Sometani, Haru Kuroki
DURÉE : 1h23
DISTRIBUTEUR : Art House
SORTIE LE 14 Août 2024