Depuis son rôle de fille du boucher dans Carne de Gaspar Noé, Blandine Lenoir a fait bien du chemin et est en passe de devenir une réalisatrice enfin reconnue. Par sa qualité et son sujet en écho avec l »actualité (la lutte contre l’interdiction de l’avortement dans les années 70), Annie Colère avait engendré un formidable succès d’estime. Avec Juliette au printemps, Blandine Lenoir en prend quelque peu le contrepied avec un film volontairement inactuel, sans enjeu politique, se rattachant au genre de la comédie familiale. Pourtant elle touche à nouveau terriblement juste avec ce portrait de deux soeurs qui se retrouvent et vont essayer de résoudre ensemble leurs problèmes de femmes, mariée ou célibataire. Juliette au printemps est ainsi un très joli film, fin et sensible, qui met en avant des femmes en proie au quotidien et qui, grâce à la sororité, vont comprendre qu’il faut apurer le passé pour avancer dans le présent.
Juliette, jeune illustratrice de livres pour enfants, quitte la ville pour retrouver sa famille quelques jours à Saint-André-de-Corcy dans l’Ain : son père si pudique qu’il ne peut s’exprimer qu’en blagues, sa mère artiste peintre qui enchaîne les aventures, sa grand-mère chérie qui n’a plus toute sa tête, et surtout sa sœur, mère de famille, stressée, suractive et infidèle. Dans cette famille qui ressemble à toutes les autres, tout en étant joyeusement différente, des souvenirs et des secrets vont remonter à la surface.
Un très joli film, fin et sensible, qui met en avant des femmes en proie au quotidien et qui, grâce à la sororité, vont comprendre qu’il faut apurer le passé pour avancer dans le présent.
La comédie familiale est quasiment un genre en soi : citons par exemple Pièce montée (2010) de Denys Granier-Defferre, Gaspard va au mariage (2018) d’Antony Cordier et Fête de Famille (2019) de Cédric Kahn. Dans le lot, Blandine Lenoir tire plutôt bien son épingle du jeu. de deux manières en portant son attention sur des détails presque surréalistes et en misant sur le contre-emploi. Blandine Lenoir a le sens aigu du détail : un chat qui ne cesse de tomber de la rembarde d’un toit, un canard égaré en ville, un amant qui se déguise en ours ou en fantôme, ce qui va embrayer sur le thème des disparus, les faux fantômes faisant la courte échelle fictionnelle aux vrais fantômes.
Blandine Lenoir surprend également en choisissant le contre-emploi : elle donne ainsi un rôle de personne souffrante et en retrait à la bouillonnante et énergique Izïa Higelin. Déjà excellente en Camille Claudel dans Rodin de Jacques Doillon, cette dernière convainc définitivement dans un registre nettement plus réservé et discret. Elle imprime sa bienveillance fatiguée et résignée à l’ensemble du film. Juliette au printemps est donc un film bienveillant, vu à travers le prisme du regard de Juliette qui a parfois du mal à respirer et n’a pas ses règles depuis un an, signe d’une intense souffrance intérieure.
A côté de Juliette, les femmes vont plus (sa mère) ou moins (sa grand-mère) bien. Mais ce qui fait contraste avec l’apathie résignée de Juliette, c’est la suractivité de sa soeur Marylou (la très belle, renoirienne et trop rare Sophie Guillemin qui crève l’écran), mère de deux filles et épouse infidèle, qui ne va pas beaucoup mieux que Juliette mais l’exprime par un stress communicatif et une vitalité débordante. Chacune a du mal à respirer et étouffe dans son quotidien. Elles vont s’apercevoir que la seule manière de surmonter leur incapacité à vivre, d’apprendre à respirer, c’est d’affronter un fantôme logé dans le placard de leurs souvenirs.
Le duo de soeurs emporte littéralement le film. Adaptation du roman graphique de Camille Jourdy, au titre bien plus explicite, Juliette, les fantômes reviennent au printemps, le film de Blandine Lenoir, nouvelle réussite à mettre à son crédit, est une histoire à la fois cocasse et mélancolique de deuil, de résilience et de souvenirs, où Juliette et Marylou, complémentaires dans leur manière d’affronter leur solitude, vont s’efforcer de respirer mieux.
RÉALISATRICE : Blandine Lenoir NATIONALITÉ : française GENRE : comédie dramatique AVEC : Izïa Higelin, Sophie Guillemin, Jean-Pierre Darroussin, Noémie Lvovsky, Eric Caravaca, Liliane Rovère DURÉE : 1h36 DISTRIBUTEUR : Diaphana Distribution SORTIE LE 12 juin 2024