Onoda : la guerre du Pacifique n’aura pas de fin

Si plus d’un demi-siècle nous sépare de la fin de la Seconde Guerre Mondiale, les blessures que celle-ci a laissées dans l’imaginaire mondial sont toujours très vives. De tous les traumatismes qu’a laissé cette période, le front de la Guerre du Pacifique opposant l’armée impériale japonaise à l’état-major américain est peut-être l’un des moins connus et commémoré en Europe et aux États-Unis, souvent éclipsé par l’horreur de la bombe atomique et des camps de concentration. Un vide que le jeune réalisateur français Arthur Harari comble à sa manière avec son deuxième film, Onoda, journal intime d’un soldat japonais refusant de déposer les armes, projeté en ouverture de la sélection Un Certain Regard du Festival de Cannes 2021. Adapté d’un fait réel qui a défrayé la chronique japonaise, et qui est aujourd’hui particulièrement mythifié dans l’imaginaire international, Arthur Harari parvient cependant à livrer un portrait loin de tout sensationnalisme, tout en nuances et en complexité.

En 1945, alors que l’armée impériale japonaise est poussée dans ses derniers retranchements par les incursions incessantes de l’armée américaine dans les îles du Pacifique, le jeune commandant Onoda est dépêché sur l’île de Lubang. Là où ses supérieurs hiérarchiques et ses compagnons d’armes se résolvent au suicide pour la Nation, le jeune soldat est lui prêt à tout pour survivre et continuer le combat le plus longtemps possible. Car Onoda est en fait un soldat spécial investi d’une mission secrète : survivre à tout prix, et mener une guérilla sans relâche contre les forces américaines. Alors que l’Empire capitule, Onoda et les siens, eux, poursuivent sans relâche leur propre guerre – un combat qui ne prendra fin que quatre décennies plus tard.

« Avec Onoda, Arthur Harari semble saisir très justement le sens historique de l’existence d’Hirô Onoda : celle d’un souvenir permanent de la honte et de l’absurdité de la violence de l’Empire du Japon, un memento vibrant d’une Histoire balayée sous le tapis, comme une cicatrice qui continue de brûler bien après que la plaie se soit refermée. »

Malgré une équipe exécutive majoritairement composée de Français, Arthur Harari parvient avec Onoda à échapper aux pièges de l’orientalisme et à livrer un film saisissant de nuance et de complexité dans les émotions de son personnage principal. Contrairement au mythe entourant le personnage, le représentant comme un acharné fanatique de l’Empire, Hirô Onoda apparaît dans le film comme un personnage pétri de contradictions, partagé entre un Ancien Monde et un monde moderne dans lequel cette relique d’une guerre oubliée n’a plus sa place. Loin des clichés sur les kamikazes et les soldats mourant pour l’honneur, l’écriture du personnage d’Onoda en fait au contraire un homme obsédé par la survie, résolu à se battre chaque jour, à la limite de l’absurde. Le soldat et ses comparses sont comme piégés dans des limbes obscures, entre passé et présent, comme le montrent ces scènes saisissantes où Onoda et les siens écoutent la radio, alors que sur les ondes prend vie un monde moderne inatteignable, illusoire et irréel. En mettant l’accent sur la survie de ses personnages, sur leur lutte quotidienne pour vivre et perpétuer un ordre ancien qui n’a plus lieu d’être, Arthur Harari fait d’Onoda un personnage profondément vivant : moins qu’un fantôme du passé, Onoda est alors plutôt un personnage cruellement présent, dont la simple existence est une cicatrice béante, une existence douloureuse qui se perpétue, comme une plaie ouverte dans l’Histoire du Pacifique.

Car l’aveuglement exceptionnel d’Onoda et son combat quotidien, plus qu’un récit de survie, apparaît comme un symbole saillant de la folie guerrière de l’armée japonaise. Pourtant à des kilomètres des îles principales de l’archipel japonais, l’île de Lubang, à l’autre extrémité du Pacifique, représente une histoire que le Japon contemporain tente désespérément d’oublier. Piégé dans un autre lieu, piégé dans son propre temps, Onoda mène une guerre quotidienne d’Onoda qui ressemble à une guerre éternelle, un théâtre lointain dans lequel l’Empire de Japon continue à vivre, loin de la modernité du Tokyo des années 60, loin d’un Japon qui ferme obstinément les yeux sur son passé. Un Japon représenté à la perfection par l’évasif major Taniguchi, le supérieur hiérarchique d’Onoda qui l’a formé aux méthodes de la « guerre secrète » et qui lui a ordonné d’organiser une guérilla sur l’île de Lubang. Devenu libraire après avoir raccroché l’uniforme, refusant quatre décennies après de reconnaître sa responsabilité dans la guerre du Pacifique, ramené à la réalité de ses actes par la confrontation face à un Onada exténué par quarante ans de survie dans la jungle, le Major Taniguchi est le symbole d’un Japon basculé trop vite dans la modernité, désireux de tirer radicalement un trait sur son Histoire honteuse. Avec Onoda, Arthur Harari semble saisir très justement le sens historique de l’existence d’Hirô Onoda : celle d’un souvenir permanent de la honte et de l’absurdité de la violence de l’Empire du Japon, un memento vibrant d’une Histoire balayée sous le tapis, comme une cicatrice qui continue de brûler bien après que la plaie se soit refermée.

Portrait très fin, loin des obstacles émergeant habituellement lorsque le regard occidental se pose sur l’Histoire extrême-orientale, Onoda est alors un film habile et nécessaire, une adaptation sensible d’un fait réel qui ne cède pas totalement à la mythification, et qui tend avec justesse un miroir sur le monde d’aujourd’hui. Un film qui devrait faire date dans la carrière du réalisateur, et dont la distribution dans les pays du Pacifique devrait susciter de nombreuses discussions sur les mémoires de la Seconde Guerre mondiale.

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RÉALISATEUR : Arthur Harari
NATIONALITÉ : Franco-Japonaise 
AVEC : Yûya Endô, Kanji Tsuda, Yuya Matsuura
GENRE : Drame, Guerre, Historique 
DURÉE : 2h47
DISTRIBUTEUR : Le Pacte
SORTIE LE 21 juillet 2021