The Bikeriders : too easy rider

Avant le Festival de Cannes 2023, le monde cinéphile bruissait de rumeurs dont une persistante attirait particulièrement l’attention : la Sélection Officielle en compétition de The Bikeriders, le nouveau film de Jeff Nichols (Take Shelter, Mud, Midnight Special), l’un des plus grands espoirs du cinéma américain, disposant d’une distribution particulièrement attractive, composée des acteurs les plus demandés du moment (Jodie Comer, Austin Butler, Tom Hardy, Mike Faist, Michael Shannon). La rumeur s’est évaporée assez vite à l’annonce de la Sélection officielle 2023 par Thierry Frémaux. Le film ne s’est ensuite pas retrouvé non plus à Venise 2023 ni Berlin 2024. The Bikeriders sort enfin, après cette longue attente frustrante : adaptation de l’ouvrage culte du photographe Danny Lyon sur un club de motards des années soixante, le film de Nichols confronte le temps de la légende à celui des illusions perdues, effectuant un remarquable travail de reconstitution d’une époque.

Dans un bar de la ville, Kathy, jeune femme au tempérament bien trempé, croise Benny, qui vient d’intégrer la bande de motards des Vandals, et tombe aussitôt sous son charme. À l’image du pays tout entier, le gang, dirigé par l’énigmatique Johnny, évolue peu à peu… Alors que les motards accueillaient tous ceux qui avaient du mal à trouver leur place dans la société, les Vandals deviennent une bande de voyous sans vergogne. Benny devra alors choisir entre Kathy et sa loyauté envers le gang.

Adaptation de l’ouvrage culte du photographe Danny Lyon sur un club de motards des années soixante, le film de Nichols confronte le temps de la légende à celui des illusions perdues, effectuant un remarquable travail de reconstitution d’une époque.

Jeff Nichols, à l’origine, est un cinéaste du Sud des Etats-Unis et excelle à raconter l’Americana (l’Amérique profonde) des déclassés et marginaux, au même titre qu’un David Gordon Green, ancien camarade d’études, en digne héritier d’un Terrence Malick, en plus terrien et rural. Ses trois premiers films (de Shotgun Stories à Mud) circonscrivent surtout ce terrain ainsi que ces thématiques, le désignant comme principale révélation du cinéma américain de ces vingt dernières années, avec peut-être Ari Aster. Son cinéma est davantage ensuite rentré dans la norme : un film fantastique de SF à la Spielberg (Midnight Special), un mélodrame humaniste sur les couples interraciaux (Loving). Il a fallu ensuite huit ans depuis Loving pour que Jeff Nichols redonne de ses nouvelles, cinématographiquement parlant.

Ce qui frappe d’emblée dans The Bikeriders, c’est le côté appliqué de la reconstitution. Jeff Nichols s’inspire de sa principale source, l’ouvrage éponyme de Danny Lyon, en reproduisant parfois à la pose près les attitudes des motards photographiés, ainsi que des films ayant engendré ce culte cinématographique autour des motards (L’Equipée sauvage, Easy rider, voire Scorpio Rising de Kenneth Anger). Narrativement et stylistiquement, Nichols, après s’être placé sous la tutelle de Malick (ses trois premiers films), Spielberg (Midnight Special). rend ici un hommage appuyé à nul autre que Martin Scorsese, en particulier Les Affranchis, parangon d’un modèle scorsesien auquel appartiennent aussi Mean Streets, Casino, Le Loup de Wall Street, et dont il est facile d’énumérer les caractéristiques maintes fois reprises par des suiveurs : voix off d’un protagoniste de l’histoire, narration en flash-backs, bande-son saturée de tubes de l’époque.

L’originalité du film est d’avoir surtout déporté le point de vue vers le personnage féminin, Kathy (Jodie Comer, l’héroïne de Killing Eve, absolument bluffante, jouant d’un accent à couper au couteau), seule femme quasiment dans un monde exclusivement masculin, celui des motards. Cela permet à Nichols de moderniser la perspective en l’éloignant d’un simple hommage à des comportements virilistes ou masculinistes, quelque peu dépassés. L’autre surprise du film, c’est d’avoir substitué au triangle amoureux habituel, dans le style de Jules et Jim, où deux amis se déchirent pour une fille, un autre triangle original, où Kathy et Johnny (Tom Hardy) se disputent l’attention de Benny (Austin Butler).

Là où Jeff Nichols touche juste, c’est dans l’opposition entre le temps utopique de la légende et celui du retour à la réalité, signifiée par la mise en parallèle des deux parties du film. Le règne des bikers va finir par être troublé par l’avènement des hippies qui amènera des motards d’une autre génération, d’un autre mode de pensée, moins soudés entre eux, plus opportunistes et violents (cf. la tentative d’agression sexuelle en groupe à laquelle Kathy va échapper par miracle). Nichols continue ainsi son exploration de l’Amérique profonde, des mythes et légendes qui peuvent la constituer. Toutefois, on peut regretter que, hormis les quelques points signalés, The Bikeriders n’apporte rien de réellement neuf à la compréhension de l’histoire des Etats-Unis, ni à la filmographie de Nichols. Il y rend hommage à un nouveau maître tutélaire mais n’ouvre pas son oeuvre à d’autres perspectives d’avenir. Il faut espérer en tout cas que Nichols élucidera ce dilemme, bien avant les huit prochaines années.

3.5

RÉALISATEUR : Jeff Nichols 
NATIONALITÉ :  américaine 
GENRE : drame, chronique
AVEC : Jodie Comer, Austin Butler, Tom Hardy, Mike Faist, Michael Shannon 
DURÉE : 1h56 
DISTRIBUTEUR : Universal Pictures International France 
SORTIE LE 19 juin 2024