Avec son troisième film, Kei Ishikawa affirme son appartenance à la nouvelle génération de cinéastes japonais, au même titre que Ryuishi Hamaguchi ou Koji Fukada. Ses deux précédents films n’avaient pas connu l’insigne honneur d’être distribués en France. Mais A Man a remporté pas moins de huit trophées lors des Japan Academy Prize Awards 2023, dont celles du meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur acteur et meilleur scénario. Par rapport à la génération des 4K (Kitano, Kore-eda, Kawase et Kurosawa Kyioshi de son prénom), la relève est déjà là et s’annonce brillante, tout en étant plus concernée par des problématiques sociétales. En adaptant un roman éponyme qui a obtenu l’équivalent du Prix Goncourt, sous forme de thriller qui se métamorphose progressivement en méditation existentielle, A Man évoque en effet le phénomène, assez répandu au Japon, des disparus volontaires, les « johatsu », qui seraient environ 100 000 par an dans ce pays.
Rie, une jeune femme, travaillant dans une papeterie, vient de perdre son père ainsi que son jeune fils âgé de deux ans. Il lui reste encore son autre fils âgé de dix ans. Elle rencontre un mystérieux jeune homme, ouvrier forestier, Daisuke Taniguchi. C’est le coup de foudre. Quatre ans plus tard, ils ont agrandi leur petite famille recomposée, avec une petite fille. Mais, à la suite d’un accident tragique, Daisuke meurt. A son enterrement, on découvre avec stupéfaction qu’il ne s’agit pas du vrai Daisuke Taniguchi. Mais qui peut-il bien être? Rie va engager un avocat, Kido, pour le découvrir…
Le film rappelle ainsi un peu Anatomie d’une chute, toutes proportions gardées, dans sa démarche, appâtant le spectateur par une enquête judiciaire et/ou policière, pour approfondir en fait de tout autres motifs thématiques, en l’occurrence le vertige de l’identité.
En début de film, surtout, Ishikawa ménage un étrange faux rythme, entre ellipses brutales qui accélèrent la narration et séquences assez longues qui permettent d’approfondir la connaissance des personnages. Il navigue aussi entre les genres, passant du thriller sous forme d’enquête judiciaire au mélodrame un peu sec, pour finir par une quête existentielle et quasiment métaphysique. Le film rappelle ainsi un peu Anatomie d’une chute, toutes proportions gardées, dans sa démarche, appâtant le spectateur par une enquête judiciaire et/ou policière, pour approfondir en fait de tout autres motifs thématiques, en l’occurrence le vertige de l’identité.
Trois hommes seront en effet pris dans ces tourments de l’interrogation sur leur identité, pour des raisons familiales ou d’origine, et devant lutter contre les contraintes et les interdits de la société japonaise. A ces trois hommes, Daisuke Taniguchi, le vrai et le faux, et Akira Kido, l’avocat, s’appliquent donc le titre du film, A Man. Car tous les trois vont être pris dans une spirale d’interrogations identitaires : peut-on échapper à son destin? Est-on davantage contaminé par son environnement? Même en changeant d’identité, l’identité de départ est-elle un piège auquel on n’échappe pas? Akira Kido se trouvera même contaminé par son enquête, gangrené par une violence rampante. La narration du film repose sur une vision du monde, celle de la possibilité de changement de personnalité, d’évolution et de progrès dans le comportement, cf. la séquence d’exposition des oeuvres des condamnés à mort. Pourtant le film nous incite peut-être à penser que le destin est une impasse qui n’offre pas d’échappatoire, tout comme le montre le tableau de Magritte intitulé Reproduction interdite, apparaissant au début et à la fin du film, peinture qui figure un homme de dos regardant son propre reflet de dos dans un miroir.
En fin de compte, si on tolère une certaine langueur initiale, A Man offrira de quoi alimenter de façon passionnante toutes les interprétations sur le vertige de l’identité, dont une fin abrupte qui s’avère surprenante à la projection, et en définitive complètement logique à la réflexion.
RÉALISATEUR : Kei Ishikawa NATIONALITÉ : japonaise GENRE : thriller, drame AVEC : Satoshi Tsumabuki, Sakura Andô, Masataka Kubota, Akira Emoto, Taiga Nakano. DURÉE : 2h01 DISTRIBUTEUR : Art House SORTIE LE 31 janvier 2024