Si Agnieszka Holland s’attendait probablement à provoquer l’indignation du gouvernement ultra-conservateur polonais en mettant en scène la crise migratoire qui a eu lieu à la frontière bélarusse fin 2021, la campagne de dénigrement qui s’est abattue sur elle s’est avérée particulièrement violente. C’est donc auréolé d’un parfum de scandale que son film a été présenté à la Mostra de Venise, début septembre. Le ministre de la justice polonais a eu beau comparer le travail de la réalisatrice à de la propagande nazie, Green Border a tout de même remporté le Prix spécial du Jury. En salles le 7 février 2024, ce portrait choral aux accents de drame historique nous plonge dans une réalité enfouie et pourtant si proche.
Le film s’arrête sur le seuil de l’inhumanité des gardes : on y assiste mais on ne la comprend pas.
L’intrigue est fondée sur des faits récents mais l’image n’est pas sans rappeler le documentaire d’histoire. Pour filmer cette « zone d’exclusion » où les migrants sont malmenés – et c’est un euphémisme -, Agnieszka Holland a en effet opté pour une réalisation simple, des images en noir et blanc, sans extravagances. Cette photographie sobre et presque désuète donne à voir la forêt comme un lieu chargé d’histoire, d’une histoire sombre faite de guerres, de pogroms et de fuites clandestines. La réalisatrice échappe à l’écueil du parallèle mal venu, tout en parvenant à créer une atmosphère intemporelle. C’est une histoire de 2021, avec son lot de téléphones portables et d’hélicoptères, c’est aussi un drame universel qui traverse les époques.
Construit en cinq actes principaux, le film suit tour à tour les différents protagonistes, migrants, activistes, gardes-frontières, citoyens lambda. À travers leurs différents parcours et points de vue, Holland brosse un portrait relativement complet de la crise qui se joue entre la Biélorussie et la Pologne, sur cette bande de terre boueuse et boisée, aux confins de l’Union européenne. Cependant, à l’exception d’un policier polonais travaillé par la culpabilité, les forces de l’ordre sont présentées avec un certain manichéisme. Sans remettre en question la violence qu’ils infligent aux réfugiés bringuebalés entre les deux pays, leur vision des événements aurait gagné à être approfondie – bien qu’elle soit déjà abordée. Mais faut-il toujours entrer en empathie avec tous ses personnages ? Dans ce cas, Holland semble s’inscrire dans la lignée de ces drames historiques qui s’appuient sur un jugement moral conforté par la distance des années écoulées. Green border s’arrête ainsi sur le seuil de l’inhumanité des gardes : on y assiste mais on ne la comprend pas.
D’un drame à un autre, le film nous emmène donc à travers bois, et tire élégamment une sonnette d’alarme sur l’horreur qui se déroule à nos portes, sur l’Histoire qui se joue devant nous.
RÉALISATEUR : Agnieszka Holland NATIONALITÉ : polonaise GENRE : drame AVEC : Jalal Altawil, Maja Ostaszewska, Tomasz Włosok et Behi Djanati Atai DURÉE : 147 minutes DISTRIBUTEUR : Condor Distribution SORTIE LE 7 février 2024