Ricardo et la peinture : un voyage passionnant et intime au cœur de la création

Cinéaste hétéroclite, aussi à l’aise dans la fiction (Le Mystère von Bülow, 1990 ou La Vierge des tueurs, 2000) que dans le documentaire (L’avocat de la terreur, sur Jacques Vergès en 2007 ou Le Vénérable W, 2016), Barbet Schroeder propose cette fois-ci un portrait d’une grande simplicité mais très touchant de son ami, le peintre Ricardo Cavallo, d’origine argentine et installé en France depuis près de cinquante ans. Il s’intéresse par la même occasion et de manière très personnelle sur la création et le rôle de l’art, ici la peinture.

De Buenos Aires jusqu’au Finistère, en passant par Paris et le Pérou, ce film est une invitation à plonger dans l’histoire de la peinture mais aussi à découvrir la vie de cet homme qui, avec simplicité et humilité, s’est toujours engagé entièrement, jusqu’à transmettre sa passion aux enfants de son village.

Schroeder met en lumière un homme qui consacre sa vie à son art tout en entendant le faire vivre et le partager

Si ce long métrage se révèle passionnant de bout en bout, c’est d’abord par le caractère exceptionnel du sujet filmé, à savoir « le Ricardo » du titre. Ne se contentant pas seulement de filmer le peintre au travail, en extérieur, et de montrer son œuvre (constituée notamment de grandes toiles qui sont, en réalité, constituées de plusieurs parties tels des puzzles), Schroeder met en lumière un homme qui consacre sa vie à son art tout en entendant le faire vivre et le partager. Ricardo Cavallo est un artiste d’une grande érudition, qui lit beaucoup (sa bibliothèque personnelle est riche en ouvrages d’art qu’il dévoile volontiers à son ami) et sait parler des peintres qu’il adore. Accompagné du cinéaste, il se balade dans différents musées parisiens, comme le Louvre, afin d’évoquer des œuvres qui l’ont inspiré. A ce titre, entendre Cavallo analyser, avec précision, celles de Velasquez, du Caravage (qui sont ses maîtres de prédilection) ou encore Le Fayoum et les tableaux de Delacroix constitue un plaisir intense, que l’on souhaiterait voir se prolonger davantage. Le spectateur boit littéralement ses paroles et ressent alors une furieuse envie de (re)voir les peintures en question. Ainsi, c’est à une plongée, passionnante et profondément intime, à la fois dans l’histoire de l’Art mais aussi dans la création que nous convient le peintre et son ami cinéaste. Ricardo et la peinture n’adopte pourtant jamais un ton professoral ou pontifiant, le metteur en scène laissant Cavallo parler longuement et librement.

Mais il est tout autant un film sur l’amitié entre deux hommes, deux amis de longue date

Dans le même temps, on sent également le respect et l’admiration réciproques entre le cinéaste et le peintre. Le long métrage évoque principalement le processus créatif (le tableau du peintre en train de se faire près des falaises bretonnes, dans une grotte peu accessible), associant le cinéma et la peinture, deux arts dans lesquels la lumière est un élément essentiel et où il est question de mise en images (d’ailleurs Schroeder se laisse filmer, lui et son équipe, en train de tourner, de capter les sons avec les perches).  Mais il est tout autant un film sur l’amitié entre deux hommes, deux amis de longue date : leur complicité évidente s’observe notamment lors de scènes du quotidien, de longues discussions à bâtons rompus dans des lieux divers (musées, parc, atelier) ou des repas chez Cavallo à Saint-Jean-du-Doigt, commune du Finistère où il s’est installé.

C’est justement tout près de chez lui que le peintre a créé et installé une école de peinture et de dessin gratuite pour les enfants. Schroeder choisit de filmer certains d’entre eux au travail, y prenant beaucoup de plaisir. Cet aspect vient compléter le portrait d’un homme qui s’est fixé des règles de vie un peu austères (manger du riz et des oranges, dormir la fenêtre ouverte et ne pas allumer le chauffage) mais qui a décidé de transmettre son art aux plus jeunes, considérant ainsi la peinture comme un moyen d’expression et un outil essentiel et indispensable de la compréhension du monde. Il est vrai que cette œuvre intelligente mérite d’être montrée au plus grand nombre !

Une superbe façon de conclure ce très beau film, hommage à la peinture, à l’art en général, et célébration d’une amitié simple mais bouleversante.

Ricardo et la peinture se termine alors comme il avait commencé, en compagnie des deux artistes dans « la grotte de la création », avant que Cavallo n’arpente seul les rochers rougeâtres, chargé de son matériel et que le générique ne lui emboîte le pas. Une superbe façon de conclure ce très beau film, hommage à la peinture, à l’art en général, et célébration d’une amitié simple mais bouleversante.

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RÉALISATEUR : Barbet Schroeder
NATIONALITÉ : Suisse, France
GENRE : Documentaire
AVEC : Ricardo Cavallo, Barbet Schroeder
DURÉE : 1h46
DISTRIBUTEUR : Les Films du Losange
SORTIE LE 15 novembre 2023