De la génération des cinéastes français post-Nouvelle Vague des années soixante-dix, Phillippe Garrel est l’un des rares survivants, avec André Téchiné, Benoît Jacquot et plus fugacement Jacques Doillon. Deux se sont suicidés, et non des moindres, Chantal Akerman et Jean Eustache. L’un est mort, après avoir vécu une existence très intense de cinéaste gargantuesque, Maurice Pialat. Garrel, après avoir traversé une décennie 70 très expérimentale (La Cicatrice intérieure, Les Hautes Solitudes), aux côtés de Nico ou de Jean Seberg, est revenu à un cinéma plus scénarisé avec L’Enfant secret, puis J’entends plus la guitare. En tournant avec une génération plus jeune, celle de son fils Louis et de sa fille Esther, depuis Les Amants réguliers, il a même réussi à trouver un rythme de croisière, en tournant à la suite La Jalousie, L’Amant d’un jour, Le Sel des larmes. Le Grand Chariot est ainsi une mise en abyme de son histoire familiale, sous forme d’hommage à l’activité des artistes et à sa tribu dynastique.
Le Grand Chariot est une constellation d’étoiles. C’est aussi un théâtre de marionnettes. C’est l’histoire d’une famille de marionnettistes, une fratrie, Louis et ses deux sœurs, Martha et Lena, leur père qui dirige la troupe et la grand-mère qui a fabriqué les poupées. Ensemble, ils forment une compagnie et donnent des spectacles de marionnettes. Un jour, lors d’une représentation, le père meurt d’une attaque, laissant ses enfants seuls.
Le Grand Chariot fait référence à l’activité du père de Philippe Garrel, Maurice, qui, avant d’être l’un des plus brillants seconds rôles du cinéma français, était marionnettiste. Il ne s’agit pourtant pas d’une reconstitution de la vie de sa famille mais une libre transposition, Garrel choisissant l’art du marionnettiste pour figurer son activité artisanale de mise en scène et transférant sur ses enfants Louis, Esther et Léna, la possibilité d’une transmission et d’un héritage éventuels.
Une bonne partie du Grand Chariot surprend en ne ressemblant pas véritablement aux autres films de Philippe Garrel. Tout au plus, pourrait-on le rapprocher de La Jalousie par rapport au jeu de mise en abyme autobiographique, Louis le petit-fils interprétant une histoire arrivée à son grand-père Maurice. Les scènes de réunion de famille sonnent plutôt juste et surtout de manière étrangement apaisée, comme si Garrel profitait du filtre de transposition pour considérer les événements de façon plus sereine à l’accoutumée. On notera que, contrairement à la hiérarchie d’usage, Louis n’occupe qu’un rôle secondaire et l’essentiel du film repose sur les épaules de Léna (déjà remarquée et remarquable dans Les Amandiers) et surtout d’Esther Garrel qui reprend les rênes de l’activité professionnelle familiale. Esther Garrel y démontre une réelle et magnifique justesse de jeu qui n’a sans doute pas été assez exploitée par le cinéma français, et que l’on avait déjà décelée dans La Jalousie et L’Amant d’un jour.
Tant que Garrel se concentre sur sa famille passée ou présente, le film fonctionne de belle manière, en prenant des accents émouvants et inattendus.
Tant que Garrel se concentre sur sa famille passée ou présente, le film fonctionne de belle manière, en prenant des accents émouvants et inattendus. En revanche, dans sa dernière demi-heure, il se déporte en se focalisant sur Pieter, un apprenti peintre et ami de Louis. A partir de là, le cinéma ancien de Garrel fait retour dans cette forme qui était a priori destinée à accueillir des thèmes nouveaux. Se mélangent l’internement psychiatrique vécu par Philippe Garrel lui-même et maintes fois conté dans ses films (L’Enfant secret, La Frontière de l’aube) et l’ombre de Frédéric Pardo, peintre faisant partie des meilleurs amis de Garrel et ayant choisi un métier encore moins rémunérateur que celui de cinéaste ou de marionnettiste. C’est dans cet déport hasardeux que Garrel, pourtant couronné cette année à Berlion d’un Ours d’argent de la mise en scène, crée un terreau un peu inégal, où le film, arborant des allures testamentaires, s’avère plus mineur qu’il ne devrait l’être.
RÉALISATEUR : Philippe Garrel NATIONALITÉ : française GENRE : Drame AVEC : avec Louis Garrel, Esther Garrel, Léna Garrel, Damien Mongin, Aurélien Recoing DURÉE : 1h35 DISTRIBUTEUR : Ad Vitam SORTIE LE 13 septembre 2023