Avec ce septième volet de Mission : Impossible, Tom Cruise atteint un nouveau sommet dans sa carrière himalayesque. Tom, on l’aura vu suspendu dans le vide, courir, conduire des voitures et des motos, en effectuant lui-même ses cascades, tel un héritier du grand Belmondo. C’est l’occasion de se demander si Mission : Impossible ne serait pas finalement la meilleure franchise du cinéma d’action, doublant les James Bond et John Wick, en étant plus intello ou du moins intelligent. La grève des scénaristes et des acteurs à Hollywood prouve encore une fois que Cruise a touché juste : comme dans Mission : Impossible – Dead Reckoning, l’ennemi suprême, c’est l’Intelligence artificielle. Essayer de classer tous les Mission : Impossible, c’est s’apercevoir que même le moins bon ne descend pas en-dessous d’un niveau de qualité minimal, celui d’un divertissement extrêmement référencé et bien réalisé.
7. Mission : Impossible 2 (2000) de John Woo
Reconnaissons à Tom Cruise au moins une immense qualité. Gentleman, il sait mettre en valeur ses partenaires féminines. C’est le cas ici de Thandiwe Newton, première ambassadrice de la diversité (Paula Patton suivra), bien avant son rôle bouleversant de Maeve dans Westworld. Pour l’intrigue, Robert Towne a repiqué celle des Enchaînés d’Hitchcock (une espionne obligée de coucher pour soutirer des informations, sous les yeux de son amoureux). John Woo s’autocaricature avec des plans chichiteux au ralenti, des colombes qui s’envolent sur fond de flammes, un combat final quasiment d’arts martiaux,.. Le prologue ne sert à rien sinon montrer Cruise escalader une montagne à mains nues. On se trouve bien loin du film à haute teneur cérébrale de De Palma.
6. Mission : Impossible 3 (2006) de J.J. Abrams
Ethan Hunt s’est marié avec Julia (Michelle Monaghan) et évidemment son mariage constitue son point faible. Autant John Woo avait un style parfois bien trop voyant, autant J.J. Abrams n’en a guère, arborant une absence de style très passe-partout. Le film se laisserait voir sans trop de déplaisir s’il n’y avait dans le rôle du méchant Philip Seymour Hoffmann qui compose peut-être ici le meilleur personnage d’antagoniste de toute la série, et propulse presque à lui seul ce volet dans une autre dimension. Le reste demeure assez peu mémorable mais Philip retrouvant Tom, un an après Magnolia de Paul Thomas Anderson est assurément un spectacle qui vaut le détour. On notera aussi que c’est la toute première apparition de Benji Dunn (Simon Pegg) qui reviendra lors de tous les épisodes suivants. Le film a néanmoins produit le plus faible score de tous les volets, ce qui a presque entraîné la fin de la franchise. Il faut rappeler que Cruise avait sérieusement déraillé lors de l’émission d’Oprah Winfrey, au sujet de son mariage avec Katie Holmes, et clamait haut et fort son soutien à l’Eglise de Scientologie.
5. Mission Impossible : Protocole fantôme (2011) de Brad Bird
C’est le grand retour triomphal de la franchise cinq ans après un troisième volet qui a failli l’enterrer. Tous les indicateurs sont au beau fixe : une équipe quasiment stabilisée (Jeremy Renner, Simon Pegg et Ving Rhames à la toute fin), une méchante femme fatale (Léa Seydoux, en galop d’essai pour la franchise James Bond), un montage réussi signé Paul Hirsch et un pari réussi pour le choix du cinéaste, venu du cinéma d’animation (Ratatouille, Les Indestructibles) et s’attaquant à son premier film en prises de vues réelles. Seuls les choix de la femme de l’équipe (Paula Patton, assez transparente) et du méchant (Michael Nyqvist, idem) laissent un peu à désirer. Le film est surtout célèbre pour l’escalade de la façade extérieure du Burj Khalifa de Dubaï. Il a longtemps été le plus grand succès de la franchise (presque 700 milliards de dollars de recettes) avant d’être détrôné par Mission : Impossible – Fallout.
4. Mission : Impossible – Fall Out (2018) de Christopher McQuarrie
Cette fois-ci, l’équipe est bien constituée : Tom Cruise, Rebecca Ferguson, Ving Rhames et Simon Pegg. Seul manque à l’appel Jeremy Renner trop pris par ses activités marvelliennes. Fallout est en fait la suite de Rogue Nation et ne se démarque pas véritablement de son prédécesseur : même héroïne (la troublante Rebecca Ferguson, moins présente ici, hélas, que dans Rogue Nation), même méchant (Sean Harris dans le rôle de Solomon Lane), même ennemi (le Syndicat). Henry Cavill, faux gentil et vrai méchant, ne laisse guère un souvenir inoubliable, contrairement à Vanessa Kirby qui fait des étincelles en Alanna Mitsopolis, la Veuve Blanche, et reviendra dans la franchise. Seul vrai changement, le retour dans la dernière demi-heure du film de Julia (Michelle Monaghan), l’épouse de Ethan Hunt car de nombreux fans estimaient que l’arc narratif de Julia était loin d’être bouclé. Le film est en fait surtout célèbre pour deux énormes séquences d’anthologie, sa course-poursuite en voiture dans les rues de Paris (Mc Quarrie ayant voulu rendre hommage à Paris, durement touchée les années précédentes par le terrorisme islamique) et une course à pied phénoménale de Cruise sur les toits de Londres.
3. Mission : Impossible – Rogue Nation (2015) de Christopher McQuarrie
C’est le véritable tournant de la franchise. Tom Cruise installe à la mise en scène l’un de ses plus grands fidèles, Christophe McQuarrie, célèbre pour le scénario de Usual Suspects et ayant déjà collaboré avec lui sur Walkyrie, Mission : Impossible – Protocole fantôme, Jack Reacher et Edge of tomorrow. Un homme de confiance, ce McQuarrie, qui connaît sur le bout des doigts les films d’espionnage et l’oeuvre d’Alfred Hitchcock (on le verra dans cet épisode dans une reprise à Vienne de la séquence de concert de L’Homme qui en savait trop). Cruise installe enfin une équipe stable à l’IMF : Benji (Simon Pegg) qui apporte le contrepoint comique souvent nécessaire, Luther (Ving Rhames) qui assure l’expertise technique et informatique, et surtout Ilsa Faust, un agent double dont le spectateur ne saura pendant longtemps de quel côté elle se trouve exactement. Pour la première fois, Cruise partage la vedette avec une comédienne au moins aussi fascinante que lui. Beau joueur, il lui laisse la prééminence dans la plupart de leurs scènes communes. Entre la beauté sculpturale d’Ingrid Bergman et la classe incarnée de Diana Rigg, Rebecca Ferguson s’impose de manière magistrale dans ce film, comme le seul véritable alter ego féminin d’Ethan Hunt. Cruise, lucide, la fera revenir dans la suite de Rogue Nation mais, pas complètement fou, réduira son rôle pour être moins menacé.
2. Mission : Impossible – Dead Reckoning – Partie 1 (2023) de Christopher McQuarrie
Cette fois-ci, l’heure est grave. Après le confinement et sa perte sèche de spectateurs séduits par les plateformes et les séries, Cruise veut faire revenir les amateurs de cinéma dans les salles. Résultat : il élève les enjeux. Au lieu d’un Syndicat-prétexte un peu fumeux, c’est l’Intelligence artificielle qu’il vise désormais. Ce faisant, il touche juste en plein coeur des enjeux de notre monde contemporain. Plus qu’à l’accoutumée, il donne toute leur place aux femmes, écho à nouveau de l’actualité de notre monde : quatre rôles magnifiquement écrits qui ont le temps de se développer sur la durée (Grace la voleuse, Isla le grand amour, Paris la tueuse et Ilanna l’arnaqueuse). De plus, il passe la surmultipliée en consacrant entre vingt et quarante minutes à quatre séquences d’anthologie (le simulacre des apparences à l’aéroport d’Abu Dhabi, une poursuite folle dans les rues de Rome, une nuit cauchemardesque à Venise et enfin un climax dans l’Orient-Express).
Le temps a passé. Pour la première fois, on évoque la période où Ethan Hunt ne faisait pas partie de l’IMF, trente ans plus tôt, ce qui donne donc plus de cinquante ans au minimum au personnage. Le spectateur sent que Cruise veut boucler la boucle. On retrouvera ainsi Eugene Kittridge, personnage croisé lors du Mission : Impossible originel, en directeur de la CIA, dont on devine que la moralité n’est guère irréprochable. De nombreuses séquences suspendront Cruise dans le vide, renouant avec l’abstraction de la mise en scène de Brian De Palma. Enfin, les quarante dernières minutes du film se passeront dans un train, l’Orient-Express se substituant au TGV Londres-Paris.
Duel entre l’analogique et le numérique, le réel et le virtuel, Mission : Impossible – Dead Reckoning Partie 1 paraît tirer la sonnette d’alarme contre les conséquences de l’utilisation de l’intelligence artificielle, ce qui en fait un film théoriquement et sociologiquement important, au-delà de sa dimension de spectacle populaire.
1. Mission : Impossible (1996) de Brian De Palma
Rendons à César ce qui appartient à César. De Palma est arrivé le premier et a presque tout inventé : la destruction de l’équipe de Mission : Impossible, Tom Cruise courant devant l’explosion d’un aquarium géant, Cruise suspendu dans le vide au siège de la CIA, le jeu des masques, le morceau de bravoure se passant sur un train, etc. De Palma qui avait besoin de se renflouer à l’époque, réussit le prodige de réaliser à la fois un parfait blockbuster et un film d’auteur très personnel, qui résume ses obsessions sur la survie, la trahison et les illusions perdues.
Le seul point faible paraît être la présence d’Emmanuelle Béart qui ne dégage guère d’alchimie avec Tom Cruise. Hormis ce point précis, De Palma parvient à rendre les enjeux dramatiques extrêmement lisibles tout en délivrant des morceaux d’anthologie (le démantèlement de l’équipe à Prague, Cruise en suspension dans le vide, Cruise sur l’Eurostar), dressant un cahier des charges que la plupart des metteurs en scène suivants respecteront tous, un cocktail d’action et de cérébralité, ce dernier ingrédient, en fait, permettant à la franchise de surpasser toutes les autres franchises. Lorsque Ethan Hunt lutte contre la gravité et s’affranchit des lois de la pesanteur, c’est nous-mêmes qui parvenons à vaincre notre peur du vide, faisant nôtre sa victoire. Le cinéma ne s’est peut-être jamais mieux exprimé visuellement, en supprimant tout ce qui peut ressembler à un son. En filmant un corps en lutte pour exister au milieu de nulle part, comme Harold Lloyd ou Buster Keaton, De Palma renoue pendant quelques instants avec la pureté du cinéma muet, celui des origines.