Classe tous risques : un classique méconnu

 

Aujourd’hui, avec treize films réalisés, Claude Sautet est considéré comme l’un des plus grands cinéastes français. Bien que bénéficiant du soutien de Positif, cette reconnaissance n’a pas été sans mal, le cinéaste ayant été dénigré par les Cahiers du Cinéma et une bonne partie de la critique ciné intello de l’époque. Ses débuts ont été d’ailleurs particulièrement difficiles : Bonjour Sourire était un film de commande qu’il a terminé pour cause de défection de Robert Dhéry et qu’il n’a jamais reconnu comme faisant partie de son oeuvre ; en revanche Classe tous risques a été un projet dont il a assumé tous les aspects du début jusqu’à la fin, en particulier le casting difficile d’un Jean-Paul Belmondo inconnu. Sélectionné à Cannes Classics, Classe tous risques en version restaurée a été l’occasion de redécouvrir le tout premier film de Claude Sautet, où il faisait déjà la démonstration d’une maestria certaine, et qui préfigurait quelques-uns de ses thèmes de prédilection.

Gangster condamné à mort par contumace et recherché par la police, Abel Davos s’est réfugié en Italie avec sa femme Thérèse et leurs deux enfants. Il réussit avec Raymond un hold-up à Milan mais les deux compères sont vite pourchassés, et décident de rentrer clandestinement en France. Le petit groupe débarque sur une plage déserte, mais deux douaniers les surprennent. 

Classe tous risques est donc, en dépit de son échec initial et du désintérêt voire du rejet de la critique, devenu un vrai classique inoxydable, un classique garanti tous risques.

Aujourd’hui, Classe tous risques apparaît comme un classique méconnu du cinéma français. Il n’en était pas de même à sa sortie, où échec cinglant, il a été éclipsé par le tonitruant et révolutionnaire A bout de souffle qui a révélé Jean-Luc Godard. Disons-le, Sautet montre des qualités complètement différentes de Godard, de précision, sécheresse et rapidité dans le style. Il se coule dans le moule du genre tandis que Godard l’a fait exploser par ses citations littéraires, la décontraction légendaire de son esthétique et son montage anti-conventionnel. Sautet est plus modeste et sage, faisant ressembler son film à un polar melvillien sur la solitude des gangsters en cavale et se rapprochant des films américains de l’époque (surtout Aldrich ou Fuller). Godard et Sautet partent de Melville mais en tirent des variations assez opposées, quoique cousines.

Il ne fait pas de doute que Sautet s’est réellement trouvé avec Les Choses de la vie, et surtout grâce à Romy Schneider qui a infléchi le machisme naturel de l’auteur. Classe tous risques est essentiellement un film d’hommes, où les femmes apparaissent comme quantité négligeable (l’épouse de Davos, rapidement morte, ou le personnage de Sandra Milo, frivole). Il a fallu un long cheminement et quelques films avec Romy Schneider pour que Sautet passe d’un univers d’hommes (Vincent, François, Paul et les autres, au titre emblématique) à une compréhension assez rare du monde féminin (Mado, Une histoire simple) qui ne l’a ensuite plus quitté dans ses films suivants.

Dans Classe tous risques, Sautet met surtout l’accent sur l’immense solitude des hommes et leur rare solidarité qui va jusqu’à une touchante amitié entre Abel Davos et Eric Stark. Le paradoxe est qu’il fait ainsi l’apologie d’un gangster père de famille alors qu’il ne savait pas que son modèle Abel Danos (et non pas Davos) a été l’un des plus grands tortionnaires de la Gestapo. Sautet n’aurait sans doute pas consacré son film à ce héros douteux s’il l’avait su. Lino Ventura non plus, qui se montre très brillant dans le registre intériorisé et taiseux qui le caractérise. On notera aussi l’une des tout premiers rôles de Jean-Paul Belmondo, après A double tour de Claude Chabrol, mais avant A bout de souffle de Jean-Luc Godard. Comme on le sait, dans l’histoire du cinéma (ou sa légende), malgré le fait d’avoir été devancé par Chabrol et Sautet, Godard restera comme le principal découvreur de Belmondo. Ce dernier se montre parfait dans son association avec Ventura qui le considérait comme un fils. Le même réflexe de paternité aura lieu avec Gabin dans Un Singe en hiver, ce fait de Belmondo le grand héritier de ces deux icônes du cinéma français.

Classe tous risques est donc, en dépit de son échec initial et du désintérêt voire du rejet de la critique, devenu un vrai classique inoxydable, un classique garanti tous risques.

4

RÉALISATEUR : Claude Sautet 
NATIONALITÉ :  française 
GENRE : polar, film noir 
AVEC : Lino Ventura, Jean-Paul Belmondo, Sandra Milo 
DURÉE : 1h50 
DISTRIBUTEUR : Les Acacias Distribution 
SORTIE LE 28 février 2024