On a peut-être largement sous-estimé Valérie Donzelli qui était souvent considérée comme une autrice de comédies un peu bizarroïdes et loufoques (Main dans la main, Notre Dame). Or il existe chez elle une part non négligeable de gravité qui s’épanouit enfin dans L’Amour et les forêts et qui était déjà perceptible dans La Guerre est déclarée, un hymne à la survie et à la résilience. S’emparant pour la première fois d’un grand sujet, l’emprise, la manipulation psychologique et la maltraitance dans un couple, Donzelli le traite avec une rare sensibilité et une parfaite maîtrise de ses effets cinématographiques. Sélectionné au Festival de Cannes, dans la section Cannes Premiere, adapté d’un roman d’Eric Reinhardt, L’Amour et les forêts s’avère un film totalement exemplaire sur le sujet, basculant sans crier gare d’un univers de conte à la Rohmer ou Demy à une atmosphère hitchcockienne et terrifiante, destinée à mettre en garde contre tous les pervers narcissiques qui cachent trop bien leur jeu.
S’emparant pour la première fois d’un grand sujet, l’emprise, la manipulation psychologique et la maltraitance dans un couple, Donzelli le traite avec une rare sensibilité et une parfaite maîtrise de ses effets cinématographiques.
Quand Blanche croise le chemin de Grégoire, ils tombent amoureux presque immédiatement. C’est le coup de foudre qu’elle espérait alors que son horloge biologique la tourmentait. En raison d’une obligation professionnelle de Grégoire, le couple quitte la Normandie où Blanche a toute sa famille, sa mère et sa soeur jumelle, et déménage à Metz, Mais un soir, elle découvre que Grégoire ne lui a pas dit exactement la vérité…
Le tournant dans l’oeuvre de Valérie Donzelli se situe sans doute à partir de Nona et ses filles, série ultra-féministe saluée par l’ensemble de la critique. Lorsqu’on regarde L’Amour et les forêts, sans en connaître le sujet, le spectateur a l’impression de voir une jolie comédie sentimentale à l’eau de rose, lors de sa première partie. Néanmoins, il s’agit d’un film de Valérie Donzelli donc quelques singularités font leur apparition : lors d’une scène en voiture, les personnages se mettent à chanter comme dans une comédie musicale de Jacques Demy. On reste toutefois dans le périmètre de la comédie post-Nouvelle Vague que Valérie Donzelli a souvent exploré. La présence de Marie Rivière en mère de l’héroïne et de Melvil Poupaud en gendre idéal renforce la référence potentielle à l’univers et au style d’Eric Rohmer, comme dans le dernier Mia Hansen-Love.
Le basculement sera alors très brutal lorsque le personnage incarné par Poupaud (très bien, dans un registre totalement inattendu) montrera son vrai visage, celui d’un homme possessif, jaloux à l’extrême, voire dangereux pour la santé, sinon physique, du moins mentale de Blanche. La vie de Blanche va devenir un enfer, son mari la coupant de ses collègues et amies, contrôlant ses dépenses par un compte joint et la pressant de questions sur son emploi du temps, ne lui laissant plus aucun espace de liberté. Donzelli parvient avec aisance à engendrer une tension angoissante qui ne laisse aucun répit au spectateur, Blanche devenant peu à peu une bête traquée au sein de son propre foyer.
De plus, Donzelli parvient à dégager une atmosphère d’irréalité dans ce cauchemar de la vie conjugale, qui peut laisser croire (pas longtemps) que Blanche rêve ce qui lui arrive et qu’il n’est temps pour elle que de se réveiller. Idem pour cet intermède presque féérique dans une forêt paradisiaque, en-dehors du temps, où on attend un danger éventuel qui ne surviendra pas. Par rafales d’inserts et un montage implacable, Donzelli excelle à créer une atmosphère anxiogène. Si Virginie Efira confirme qu’elle est incontestablement l’une des meilleures comédiennes françaises du moment, c’est Melvil Poupaud qui crée la surprise, en suscitant la terreur au moindre rictus ou battement de cil.
En choisissant Virginie Efira, encore une fois bluffante dans un double rôle, Valérie Donzelli confirme donc qu’Efira semble la porte-parole de beaucoup de réalisatrices de sa génération, de Justine Triet (Victoria, Sibyl), à Alice Winocour (Revoir Paris), en passant par Catherine Corsini (Un Amour impossible), Anne Fontaine (Police) et Rebecca Zlotowski (Les Enfants des autres). Avec Valérie Donzelli, Virginie Efira ajoute un nouveau nom de réalisatrice qui lui permet d’exprimer les doutes, les espoirs et les angoisses des femmes d’aujourd’hui. Co-scénarisé par Audrey Diwan (L’Evénement), L’Amour et les forêts s’impose comme le film exemplaire, – le plus accompli de son autrice, sans doute -, à montrer sur les cas d’hommes toxiques et narcissiques qui empêchent leurs compagnes de vivre en les étouffant au quotidien, symboliquement parlant. Comme le dit l’avocate (Dominique Reymond), interlocutrice attentive et bienveillante de Blanche tout au long du film, « on est en guerre » mais l’adversaire n’est plus la mort ou la maladie, comme dans La Guerre est déclarée. Face à l’individu toxique, trois femmes se sont dressées au nom de toutes les autres, via ce film : Virginie Efira, Audrey Diwan et Valérie Donzelli, pour que ce comportement rédhibitoire ne se produise plus. Douce, faussement fragile mais dotée d’une grande force de conviction, Valérie Donzelli est une guerrière ; La Guerre est déclarée l’a suffisamment montré. Elle a bien l’intention de remporter cette nouvelle bataille.
RÉALISATEUR : Valérie Donzelli NATIONALITÉ : française GENRE : thriller, drame AVEC : Virginie Efira, Melvil Poupaud, Dominique Reymond DURÉE : 1h45 DISTRIBUTEUR : Diaphana Distribution SORTIE LE 24 mai 2023