Un film court comme un cadeau, une histoire de désir et de maux, dans un décor de rodéo…Comment ne pas penser au Secret de Brokeback Mountain réalisé par le taïwanais Ang Lee presque vingt ans plus tôt sauf que Pedro Almodóvar nous la fait à l’espagnole, en témoignent l’ouverture du film qui laisse entendre le son d’une guitare – au passage le titre correspond à une bossa nova, et à un d’Amalia Rodrigues – « Estranha forma de vida » datant de 1965, qui se poursuivra en hors-champ sur les lèvres de son chanteur guitariste – très beau jeune homme – ou le choix des costumes réalisés par la maison de couture Saint-Laurent, qui a participé à la production du film, en témoigne le chic singulier des deux personnages, l’un avec sa veste verte, l’autre sa chemise à carreaux, chacune reflétant leur personnalité. Ce moyen métrage rend hommage au genre du western et à la fois le tord en y intégrant une direction d’acteurs très stylisée qui ne lésine pas sur les plans « cul » lorsqu’on voit, notamment, des jeux de regards sur le postérieur de Silva, ou dans un plan large à la manière d’un tableau de Courbet où l’on voit son corps dénudé. Entre les deux personnages, ce seront des histoires d’amour et de passion (sexuelle), de rupture et de trahison passée, de revanche et d’honneur déplacée, dans l’appartement du shérif qui laisse voir des œuvres réalistes de chevaux dans le Far West américain ou plus abstraites de la peintre du Nouveau-Mexique, Georgia O’Keeffe. Entre les deux personnages, ce seront aussi des histoires de jalousie – à qui préfère ou défend qui –, de famille – Silva tentant de défendre son fils de la menace de Jake –, et des histoires de cow-boys avec leurs fusils et leurs cicatrices. Une très belle scène, en huis-clos – puisque alternent les balades à chevaux – l’un suivant l’autre à la manière d’un trot dansé – et les scènes intérieures – l’autre soignant l’un à la manière d’une épouse amourachée –, viendra couronner le petit spectacle à travers un climax dans lequel s’exprime l’impossibilité pour Jake d’aimer l’autre, et sans doute de s’assumer en tant qu’homosexuel, en plus de sa fonction de gradé.
De sauts du lit aux balades à chevaux, de coups de feu aux caresses des Dieux, Strange Way of life redit le chemin de cinéma et de poésie qu’Almodóvar a toujours choisi.
Mélange des genres donc, comme des sonorités, passant de mots doux à des coups de feu qui ne ratent pas leur cible, le film, fait d’émouvants gros plans sur les visages des personnages, toujours minutieusement cadrés et à leur place, rappelle un titre du cinéaste, La Loi du désir, où il était déjà question de sexe, d’amour et de mort. Malgré sa courte durée – pouvant laisser sur sa faim ou dans une frustration en miroir de celle éprouvée par les personnages pour des raisons différentes –, Strange Way of life dont le terme « strange » peut renvoyer à plusieurs sens, du plus poétique au plus trivial – d’étrange à étranger –, dont le terme du titre espagnol « extraña » renvoie aussi à la question du manque, est une pépite dorée – dans ces décors secs et ensablés –, qui montre combien brille un Pedro Almodóvar qui a l’air de s’amuser, et combien encore il maintient que les questions de désir et de liberté sont au centre de l’être, et d’un cinéma à les faire exister, hommes assis sur leur cheval ou couché, nu ou habillé, dans leurs Étreintes brisées, et ce choix reste la Fleur de son secret…
N.B. : ce film est parfois présenté en salle, couplé avec La Voix humaine, un autre moyen métrage de Pedro Almodóvar, adaptation de Jean Cocteau, avec Tilda Swinton, le tout rassemblé sous le titre L’EXPÉRIENCE ALMODÓVAR.
RÉALISATEUR : Pedro Almodóvar NATIONALITÉ : Espagne GENRE : Western moderne AVEC : Pedro Pascal, Ethan Hawke, Manu Rios, José Condessa, Jason Fernandez, Erénice Lohan, Sara Sálamo, Ohiana Cueto, Daniela Medina DURÉE : 31 minutes DISTRIBUTEUR : Pathé Distribution SORTIE LE 16 août 2023