Lorsqu’on voit aujourd’hui L’Amour fou de Jacques Rivette, difficile de ne pas ressentir ce dont parlait François Truffaut, L’Amour fou est sans nul doute l’un des plus beaux films de la Nouvelle Vague, même s’il en est une dernière lueur de comète tardive, de la même façon qu’il a réellement lancé l’oeuvre de Rivette, en s’affranchissant des contraintes de la durée, après deux coups d’éclat, l’inaugural Paris nous appartient et le polémique La Religieuse. L’Amour fou, c’est un peu l’anatomie d’un couple, étendue sur plus de quatre heures, une mise en parallèle de la vie et du théâtre, « la vie et le théâtre se mélangent un peu trop, non?, dichotomie qui allait inspirer toute l’oeuvre de Rivette, que l’on songe à L’Amour par terre, La Bande des quatre ou Va savoir, un chef-d’oeuvre, un OVNI qui allait faire entrer le cinéma français dans une autre dimension, et inspirer un autre film-monstre, La Maman et la Putain, par sa durée pharamineuse et surtout sa douceur de ton inaltérable.
La dissolution du mariage entre Claire, une actrice, et Sébastien, son metteur en scène. Le film alterne des scènes de répétition d’Andromaque de Racine, filmées par une équipe de télévision, et des scènes de la vie de couple de Sébastien et Claire, à l’extérieur du théâtre.
Si l’on regarde aujourd’hui L’Amour fou, on ne peut être que fasciné par ces séquences où Rivette invente sa propre durée. L’influence de ce film demeure immense et cela ne fait que commencer.
Avec L’Amour fou, Rivette trouve enfin une forme cinématographique originale et inédite, consistant à dilater le temps, à créer sa propre temporalité sur une durée hors normes. Personne ne l’a tenté avant lui, personne ne le fera après lui, hormis Eustache avec La Maman et la Putain. L’extension de la durée permet à Rivette de faire davantage ressembler le cinéma à la vie elle-même, au point qu’on pourrait presque considérer que les longs-métrages fleuves de Rivette sont parallèles à la vie, qu’on pourrait y entrer et en sortir sans dommages, pour mieux ensuite les retrouver. Cette fameuse durée permet de jouer sur autre chose que la dramaturgie classique, avec twists et cliffhangers, de laisser subsister les pleins et les déliés d’une existence ordinaire qui, par le biais du cinéma, devient extraordinaire.
Restauré et présenté dans la section Cannes Classics, L’Amour fou, beau titre emprunté à André Breton, mélange les textures d’images, le 35 et le 16mm, afin de distinguer les scènes de travail et celles de la vie conjugale, préfigurant ce qui allait devenir l’un des films les plus marquants d’Ingmar Bergman. Ce film met en avant une bande-son très présente, rugueuse et pleine d’aspérités. C’est aussi le zénith d’une méthode, celle de l’improvisation totale, en phase avec Mai 68, méthode qui n’allait pas durer et serait déjà remise en cause en grande partie dans Out 1, le film en poupées-gigognes de 12 heures et demie. Car contrairement à la légende, hormis cette glorieuse exception, les autres films de Rivette sont très écrits, même si les dialogues étaient parfois remis la veille pour le lendemain. Dans L’Amour fou, Bulle Ogier et Jean-Pierre Kalfon ont rarement, voire jamais, été meilleurs, l’un tournant autour de l’autre comme des félins en cage. D’un sujet a priori très antonionien, la dégradation progressive des relations d’un couple, découlant de la jalousie de l’une envers les infidélités de l’autre, Rivette parvient à en faire quelque chose de totalement différent et intrinsèquement original, et à inventer une partie importante du cinéma moderne.
Si l’on regarde aujourd’hui L’Amour fou, on ne peut être que fasciné par ces séquences où Rivette invente sa propre durée, au hasard celle où Kalfon joue des percussions devant Bulle Ogier ou celle où l’auteur emmène ses personnages dans un territoire proche de la folie, lorsque Kalfon découpe ses vêtements. A rebours des clichés, les personnes du couple ne s’invectivent pas pour exorciser leur jalousie ; bien au contraire, tout s’effectue de manière souterraine et feutrée, ce qui caractérise bien le côté underground de ce long-métrage innovateur. L’influence de ce film demeure immense et cela ne fait que commencer.
RÉALISATEUR : Jacques Rivette NATIONALITÉ : française GENRE : drame AVEC : Bulle Ogier, Jean-Pierre Kalfon DURÉE : 4h17 DISTRIBUTEUR : Les Films du Losange SORTIE LE 13 septembre 2023