Bardot (la série) choisit l’angle intime et s’appuie extrêmement sur l’autobiographie « Initiales : B.B. » de l’intéressée, biographie écrite uniquement de la main de la star et dont la rédaction a duré une trentaine d’années. On peut déplorer les libertés prises par Thompson mère et fils au niveau du scénario lorsque l’on connaît les faits réels. Si toutefois on fait fi de ces bémols, Bardot est passionnant et fait partie de ces séries par essence chronophages dont on visionne tous les épisodes d’une traite. La mini-série Bardot, en dépit de ses défauts, est essentielle.
Brigitte Bardot est une adolescente de 15 ans issue de la très grande bourgeoisie. Bien qu’elle ait déjà fait des photos de mannequin dès l’âge de 14 ans, ni elle, ni encore moins sa famille ne croient en ses éventuels beauté, charisme ou talent. Des essais pour Marc Allégret, qui a repéré la très jeune fille via son travail de modèle, vont bouleverser et sa vie et la face du monde.
La question et le postulat initiaux de Danièle Thompson (qui a côtoyé l’actrice du temps de sa gloire) étaient les suivants : « Comment une jeune fille mignonne voire commune est devenue Bardot ». C’est une question que se posent même les plus grands fans car il est effectivement un monde entre Le trou Normand et Et Dieu créa la femme. « Changer la face du monde » n’est pas une expression exagérée. Le premier film de Vadim, tièdement sinon mal accueilli en France sinon par les très enthousiasmés « jeunes tigres » des Cahiers du cinéma (Godard et Truffaut en tête) obtint un succès phénoménal aux États-Unis puis dans le monde entier. B.B (initiales mythiques) devint d’emblée un mythe, à son somptueux corps défendant, dès l’âge de 22 ans. Un phénomène de société mondial que tentèrent de décortiquer alors, dans des essais, Marguerite Duras, Simone de Beauvoir, Françoise Sagan ou Jean Cocteau (qui l’avait pourtant connue et dirigée au théâtre à ses débuts). Économiquement ses films rapportaient plus à la France que la régie Renault. Elle était à 70% le sujet quotidien de conversation des Français, ses photos circulaient sous le manteau en URSS, ses films (elle a toujours refusé les propositions hollywoodiennes), quelles que soient leurs qualités, explosaient les records d’entrées en France et à l’étranger, un petit village de pêcheurs devint malgré elle l’endroit le plus touristique du monde, elle demeure à ce jour « la femme la plus photographiée du monde ». Naturellement libre dans sa façon d’être et ses mœurs, elle révolutionna la condition féminine, lança des modes sans non plus le vouloir (ballerines, robes et vêtements vichy, coiffure « choucroute », façon de se maquiller etc.) et demeure, en dépit de la distance temporelle, l’archétype de beauté actuel. Auparavant « la plus belle femme du monde », « l’incarnation de la beauté » était Greta Garbo, beauté tombée en désuétude. Peu avant B.B, en terme d’archétypes, il y avait Michèle Morgan, et les stars hollywoodiennes, charmantes mais totalement fabriquées, créés et calibrées par et pour les grands studios, telles que Rita Hayworth, Marilyn Monroe qui ne « se » ressemblaient plus aucunement, étaient transformées, y compris par la chirurgie esthétique (ce fut même le cas d’Elizabeth Taylor à la sortie de l’adolescence) et ne choisirent pas. Il n’existe aucune ressemblance entre Norma Jean et Marilyn, pas plus qu’entre Margarita Casino et l’inoubliable Gilda. Non, entre autres libertés prises par les scénaristes, Vadim n’était pas un timide jeune homme désarmé face à une jeune fille de 15 ans qui ne prit d’ailleurs pas l’initiative de leurs relations bibliques, pas plus que Bardot ne révéla, suite à leur mariage, de manière fracassante et très Festen, la vérité sur leurs relations physiques, trois ans durant, avant le mariage. Dans les reconstitutions d’archives et de films connus (les émissions avec Bécaud, l’interview de François Chalais durant le tournage de La Vérité), De Nunez pâtit de la comparaison et l’on voit le fossé et le manque de ressemblance. On peut aussi déplorer l’étonnant manque de rigueur sur le maquillage. Blonde avait réussi à créer une ressemblance confondante avec Monroe. Alors que, physiquement, Ana de Armas est le contraire absolu, aux antipodes de Marilyn. Un grand travail crucial de maquilleurs, coiffeurs, costumiers, coach et, bien évidemment, d’actrice a été fait. D’ailleurs, dans Blonde, les expressions, mimiques et voix de Marilyn sont absolument respectées. La barre était haute et a été atteinte. Ici, les costumes et la coiffure sont à peu près similaires, mais pas restitués de façon maniaque, rigoureuse et précise. Tout cela reste vague et approximatif. Le maquillage qu’inventa Bardot et qui, inversement aussi, l’inventa et qui aurait permis une plus grande ressemblance est totalement éludé- à part, très sommairement, celui des yeux. Il n’a même pas été choisi, contrairement pour Laetitia Casta pour Gainsbourg : vie héroïque, de faire porter à de Nunez des lentilles marron pour masquer des yeux bleus que Bardot n’a jamais eus. Pas plus qu’il n’a été décidé, tout aussi étonnamment et contrairement au film de Joann Sfar de reprendre le phrasé si caractéristique de l’icône, qui est pourtant 50% de la personne et du personnage. Sans cet « accent » typique, le timbre est loin d’être le même : De Nunez a une voix très grave. Cependant cette actrice est par ailleurs une interprète intéressante, une fois le spectateur habitué, s’il prend le parti (et sur lui) de s’immerger dans ce qui n’est pas un récit de fiction, à part les détails que nous avons soulignés, et qui sont aussi, en partie, des habiletés et partis-pris scénaristiques d’une des plus reconnues des scénaristes française (Danièle Thompson). Il y a un très fort contraste dans le casting, l’interprétation et les ressemblances physiques. Les « anciens » sont incarnées avec grand talent par des acteurs très connus tels qu’Hippolyte Girardot (dans le rôle du père), Géraldine Pailhas (la mère), Yvan Attal (Raoul Levy), Anne Le Ny (Olga Horstig) et Louis-Do de Lencquesaing (Henri-Georges Clouzot), Laure Marsac (Christine Gouze-Rénal). Les vingtenaires sont joués par des débutants, pour certains issus de familles connues (le petit-fils Belmondo pour Roger Vadim, le fils de Samuel Benchetrit et de Marie Trintignant pour incarner Samy Frey). Mis à part Victor Belmondo, aucun des nombreux jeunes acteurs castés ne ressemblent ni ne s’approprient, dans leur jeu, dans un travail de mimétisme, des artistes connus de tous, imprimés dans l’inconscient collectif : Jean-Louis Trintignant, Gilbert Bécaud, Sacha Distel, Jacques Charrier, Samy Frey…
La série a bénéficié d’un financement assez conséquent, cependant l’argent a été investi de façon inégale. Par exemple, quand Brigitte Bardot a accouché, elle a été contrainte de le faire à domicile car plus de 200 journalistes faisaient le pied-de-grue en bas de son appartement de la rue Paul Doumer. Ils louaient aussi à prix d’or des chambres de bonnes en vis-à-vis ou au-dessus de chez elle. Les Thompson, du propre aveu de Danièle, n’ont pas pu réunir un nombre suffisant de figurants. Ils ont été contraints de faire des plans resserrés afin de donner l’illusion du nombre. Ce qui est plutôt mal réalisé car on perçoit tout de même cette carence, alors que par exemple Julie Delpy a eu recours à ce même subterfuge dans les scènes de batailles dans son remarquable The Countess, sans que cela ne soit perceptible. Beaucoup de scènes sont tournées en intérieur ou à la campagne. Le Paris ou autres villes des années 50/60 (à l’exception de Saint-Tropez lors de la reconstitution du tournage d’Et Dieu créa la femme) sont parfaitement invisibles. Le vrai biopic sur Brigitte Bardot c’est le pourtant mauvais Vie privée de Louis Malle avec Bardot, alors à l’apogée de sa carrière, dans son propre rôle. Une scène est reprise ici et est tirée d’un fait bien vérace : celle d’une employée d’hôpital reconnaissant Bardot dans un ascenseur, l’invectivant de la plus ignoble des manières, et tentant de la défigurer, de lui crever les yeux avec une fourchette. La version des Thompson colle davantage à ce qui se passa, bien que celle de Malle soit cinématographiquement plus réussie (avec bien sûr l’avantage d’avoir la vraie Bardot, alors à l’apogée de son succès, jouant son propre rôle). Bardot dit d’ailleurs de Vie privée (cf. son autobiographie) que le film se trouvait vraiment à mi-chemin entre la réalité qu’elle vivait alors et son passé, mais pas suffisamment proche de sa réalité et de sa biographie. Le film initial pour lequel avaient signé et B.B et Mastroianni (qui fut furieux du changement de scénario en cours de route) était une histoire d’amour fictionnelle tirée d’un livre que Malle décida de transformer en biopic/analyse du phénomène Bardot. Bien que le film de Louis Malle ne soit ni du niveau de La vérité, du Mépris ou d’En cas de malheur, nous le recommandons à nos lecteurs en complément de la mini-série. D’abord parce que Bardot y joue son propre rôle, d’autre part parce que des séquences sont extrêmement réussies. Hélas « seulement » des séquences. C’est un film très contrasté, alternant des passages justes, réussis, de très haut vol, avec des parties ennuyeuses ou kitsch, comme le fit remarquer, à la sortie du film, Andy Warhol. Mais revenons à la série. Cette dernière couvre la période des premiers essais de BB pour Allégret, sa rencontre décisive, par ce biais, avec Vadim jusqu’à une courte période post La vérité de Clouzot. Certains épisodes de la série sont plus réussis et passionnants que d’autres : Une jeune fille sage (Eo1), Le papillon (E04), Bébé (E05), et La vérité (E06). Certains critiques et spectateurs sont choqués (comme quoi ce que fut Bardot scandalise toujours en 2023) de la succession et/ou coexistence des amours de l’icône. Or la série est scrupuleusement fidèle à la réalité et à l’autobiographie de l’intéressée. C’est l’angle intime qui intéresse les Thompson, même si l’aspect phénomène protéiforme et la filmographie sont aussi abordés.
« Là où la série nous cueille c’est que, même pour les plus documentés et fans d’entre nous, on réalise et ressent l’extrême souffrance et l’enfer qu’était la vie de la plus grande star de l’époque, dont le rayonnement continue de nous parvenir aujourd’hui. »
Ni Vie privée de Malle (hormis la scène de l’ascenseur) ni les interviews, ni les biographies et l’autobiographie n’étaient parvenus à nous faire arriver à un tel degré d’empathie totale, à être en symbiose et enfin réaliser ce qui a pu se passer. Il est d’ailleurs très justement montré combien elle était une très bonne actrice. Pas forcément, dans le contexte de la mini-série, dans ses films, mais dans sa vie elle-même. Constamment sous le feu des projecteurs même quand elle s’y opposait, elle jouait son propre rôle, le mythe solaire. Cela a été justement mis en lumière et révélé dans « Initiales : BB » et c’est fort bien exposé dans le film : Bardot, désespérée, au bord du gouffre sinon du suicide, notamment juste après son mariage avec Charrier et à la naissance de son fils, donnait, en l’espace de quelques secondes, parfaitement le change et l’illusion d’un bonheur radieux devant les caméras et les objectifs. Cette œuvre est la première à nous le faire voir et ressentir réellement : cette transition radicale entre la réelle Bardot et ce qu’elle donnait à voir, avec une maestria et un professionnalisme sidérants, au monde. Ce caractère à la fois déjà suicidaire dès l’adolescence coexistant avec un hédonisme de l’instant. La « prison agréable, mais prison quand-même » (interview de François Chalais reprise dans la série), de ce statut trop lourd à porter pour quiconque, même pour les plus solides, et encore plus pour quelqu’un qui ne « s’aime et ne s’aimait pas », d’emblée fragile, vulnérable et qui n’avait rien demandé (elle n’avait jamais réellement aspiré à être actrice), ni cherché une telle gloire (à l’inverse d’une Marilyn Monroe qui avait tout fait pour être actrice, star et personnalité publique). L’intérêt, notamment, du producteur Raoul Lévy, d’Olga Horstig, son agent, et de tout cet entourage professionnel dont elle était « la poule aux œufs d’or » (dixit Charrier) et qui vivaient sur son dos, en même temps qu’ils lui portaient un attachement affectif réel mais ambigu de par la première donne, est parfaitement dépeint. Le pendant inverse, son second mari, Jacques Charrier, machiste, misogyne, voulant imposer à sa compagne le mariage, une maternité dont elle n’a jamais voulu toute sa vie durant, l’ordre impérieux qu’elle abandonne sa carrière pour un modèle rétrograde qu’elle avait justement révolutionné, l’aimant en projection, pour exactement ce qu’elle n’était pas, est tout aussi bien reproduit. Bardot, la série, fait comprendre l’horreur (et nous pesons nos mots) de cette condition : un entourage ne l’aimant pas réellement, intéressé, jusqu’à l’exemple bien réel de Pierre Lazareff, un « ami » de très longue date qui payait journalistes et paparazzis charognards pour violer les dernières parcelles de sa vie la plus intime. Le secrétaire Alain Carré, le proche ultime, homme à tout faire et de confiance, qui, bien qu’aimant celle qui était à la fois son amie et sa patronne, finit, sous influence amoureuse, par prostituer toute l’intimité de la personne dont il était pourtant le plus proche. On peut donc, via cette fiction qui a la grâce et l’intelligence de nous donner à voir et à éprouver littéralement l’absolu désespoir de cette jeune femme, horriblement entourée et adulée autant que viscéralement haïe par le public – français comme international. Dès lors, à quoi peut se raccrocher Brigitte ? Ses parents qui, pourtant (et c’est aussi fort bien montré), la dépréciaient, au profit de sa sœur Mijanou, lorsqu’elle était enfant et adolescente ? Et souhaitaient qu’elle tienne son statut, ses principes, manières et vie bourgeoise ? Roger Vadim, très gentleman et qui resta toute sa vie son ami, en dépit du fait qu’elle l’avait quitté pour Jean-Louis Trintignant, fut sans doute un des liens les plus constants et désintéressés qu’elle eût jamais. Les vraies amours (Jean-Louis Trintignant et Samy Frey) elle ne sut les garder, sur-sollicitée et par trop dans l’impatience et le carpe diem, mais aussi souffrant d’une infinie solitude et d’une carence de liens authentiques et inconditionnels. L’issue de la relation avec Frey, par un choix scénaristique discutable (pourquoi s’arrêter à l’époque de La Vérité et non celle du Mépris ou de Viva Maria ?) ne dit pas au spectateur le caractère identique de cette passion au schéma de son histoire avec Trintignant. Rien ne sera montré, la mini-série choisissant de s’arrêter là où leur passion vivait ses premiers et ardents feux, dans la plus grande noirceur (vers où les poussa Clouzot) comme dans le plus aveuglant des soleils.
RÉALISATEUR : Danièle Thompson, Christopher Thompson NATIONALITÉ : Française GENRE : Biopic AVEC : Julia de Nunez, Hippolyte Girardot, Géraldine Pailhas, Yvan Attal. DURÉE : 6 x 52 mn DIFFUSEUR : France télévision SORTIE LE : 8 mai 2023