Une énième variation romantique sur le couple ? Il serait stérile de poser ce postulat pour évoquer le nouveau long métrage de Sophie Letourneur, Voyages en Italie. La cinéaste aborde en effet la vie à deux mais dans un style qui détonne dans le paysage ronronnant d’un certain cinéma français, fidèle à ses œuvres précédentes (La vie au ranch, ou surtout l’excellent Énorme, avec Marina Foïs et Jonathan Cohen, sorti en 2020).
La cinéaste aborde en effet la vie à deux mais dans un style qui détonne dans le paysage ronronnant d’un certain cinéma français
Une escapade romantique peut-elle raviver la flamme dans un couple ? Vaste question à laquelle tente de répondre Sophie, qui réussit à convaincre son mari, Jean-Philippe, de partir quelques jours sans les enfants. Ce sera là où il a envie, sauf en Italie car il y est allé avec toutes ses ex… Mais pas non plus en Espagne. Finalement, le choix se porte sur la Sicile, car d’après lui, ce n’est pas tout à fait l’Italie.
Ce qui séduit immédiatement le spectateur, c’est le ton qu’emploie Sophie Letourneur pour aborder un thème très éculé, la crise de couple, et dont on pouvait craindre sur le papier une énième version a priori pas très excitante. Or, le résultat produit l’effet inverse : cette comédie burlesque est un enchantement, une bulle d’air frais sur de « l’insignifiant » mais dans le bon sens du terme, c’est-à-dire qui traite du banal, du quotidien le plus routinier et trivial (s’occuper des enfants, la vie à la maison, la passion qui s’efface progressivement, la sexualité…).
Or, le résultat produit l’effet inverse : cette comédie burlesque est un enchantement, une bulle d’air frais sur de « l’insignifiant » mais dans le bon sens du terme, c’est-à-dire qui traite du banal, du quotidien le plus routinier et trivial
Sophie Letourneur propose, comme son titre l’indique malicieusement (notamment par le rajout du « s » à voyage), une relecture brillante (mais ni purement cinéphile ni prétentieuse) d’un classique du cinéma sorti en 1954 de Roberto Rossellini, à la trame similaire : en voyage dans le même pays (mais à Naples), entre musées et visites archéologiques, un couple d’Anglais se délite progressivement, avant de se retrouver. Chez Letourneur, la romance se mue en autofiction savamment construite, et rigoureuse contrairement à ce que laisserait penser la vision des scènes qui composent le film (on pense ainsi à de l’improvisation permanente, alors que tout est très travaillé, à l’image du montage et des dialogues). Le burlesque fonctionne parfaitement (Voyages en Italie est très drôle), permettant au long métrage d’échapper à un certain naturalisme, lui donnant ainsi une respiration bienvenue. Tout comme l’autodérision, puisque Sophie Letourneur se met en scène elle-même dans le rôle de Sophie et on devine une part de vécu dans le récit : elle s’inspire directement d’un séjour effectué avec son mari en 2016 dans les endroits du film (notons que l’approche était la même déjà dans Énorme où elle posait un regard décalé sur la maternité en s’inspirant de sa propre grossesse). Mais pas seulement. C’est notamment parce qu’elle met en scène un couple semblable à plein d’autres, des situations qui parlent à un très grand nombre, que Voyages en Italie touche juste. Limiter le film à l’aspect comique serait pour autant presque un contre-sens. Derrière l’humour parfois vachard, les disputes régulières (qui commencent à Paris, notamment à propos du choix de la destination, et qui se poursuivent durant tout le séjour), pointent une certaine cruauté dans l’observation du couple, ainsi qu’une mélancolie, voire une tendresse. C’est sur ce point que l’emporte la réalisatrice : elle touche du doigt ce que constitue la vie à deux. Cela faisait longtemps que l’on n’avait pas ressenti vraiment ce que signifie l’expression « être en couple ». Malgré des personnalités opposées, une certaine maladresse dans leurs efforts respectifs pour aller vers l’autre, des disputes quasi constantes, Jean-Philippe et Sophie forment un couple à la complicité bien réelle. Sans tomber dans la mièvrerie, ni dans l’outrance, en utilisant les armes de l’humour, Sophie Letourneur amuse mais provoque émotion et même réflexion (c’est une fois encore une caractéristique de son cinéma). Elle donne aussi la délicate impression que les vacances qui se déroulent sous nos yeux, à l’écran, pourraient tout à fait être les nôtres, que ces personnages pourraient être nous et l’on s’amuse alors à y chercher des points communs ou des différences. La mise en scène, en mouvement, renforce cet aspect : le spectateur se dit régulièrement que ces images sont potentiellement les mêmes que celles que lui-même aurait pu filmer avec un caméscope, ou de nos jours, un téléphone portable. Des images qui constituent des souvenirs que l’on se remémore, à deux, comme le font Sophie et Jean-Philippe.
Elle donne aussi la délicate impression que les vacances qui se déroulent sous nos yeux, à l’écran, pourraient tout à fait être les nôtres, que ces personnages pourraient être nous et l’on s’amuse alors à y chercher des points communs ou des différences.
Il convient enfin d’évoquer les personnages, tantôt excessifs, tantôt ridicules dans leurs réactions, portés par Sophie Letourneur elle-même (réalisatrice, scénariste et donc actrice) et un excellent Philippe Katerine, tout en retenue mais très drôle (la scène dans laquelle il commande une glace dans un italien pour le moins approximatif et surjoué est hilarante) et émouvant. L’une des plus belles (et audacieuses) scènes est celle où Sophie et Jean-Philippe font l’amour ensemble, sur une musique pour le moins étonnante, « Syracuse », interprétée par Henri Salvador : elle illustre parfaitement le style Letourneur, mélange de crudité (peu courante dans ce genre de film), de sensualité et d’émotion. Quoi qu’il en soit, ces deux protagonistes participent au processus d’identification du spectateur tout comme à la réussite indéniable de ce film au ton si singulier, qui fait un bien fou et finit par rendre heureux.
RÉALISATEUR : Sophie Letourneur NATIONALITÉ : France GENRE : Comédie douce-amère AVEC : Sophie Letourneur, Philippe Katerine DURÉE : 1h31 DISTRIBUTEUR : Météore Films SORTIE LE 29 mars 2023