La passion de Quentin Tarantino pour le western est connue de longue date. Il est ainsi intarissable sur Sergio Leone, l’un de ses metteurs en scène favoris, le western-spaghetti en général ou encore Rio Bravo de Howard Hawks. Il a pourtant fallu attendre sept films pour qu’il en tourne enfin un, réalisant sans doute de cette manière un de ses rêves les plus chers à son cœur de gosse. Par le style, Tarantino continue à recourir à un maniérisme parfois assez agaçant, lorsqu’il reprend explicitement à son compte les zooms avant intempestifs et rapides du western-spaghetti. Etrangement, son film se trouve donc plus proche cinématographiquement des petits-maîtres du western-spaghetti (Django de Sergio Corbucci) que de Sergio Leone ou des grands classiques (Ford, Hawks, Mann). Pas de duels mexicains où les adversaires se braquent l’un l’autre, en gros plan, avec lenteur et circonspection, mais surtout une fusillade sanglante qui fait tomber les morts à la cantonade. Thématiquement, c’est le deuxième volet de la trilogie du « révisionnisme positif » de Tarantino: après Inglourious Basterds où il s’agissait rien de moins que de tuer Hitler et de mettre fin à la Seconde Guerre Mondiale, et avant Once upon a time in…Hollywood, où un acteur et un cascadeur de seconde zone vont se trouver sur le chemin de la Secte Manson, en route pour assassiner Sharon Tate et ses invités, Django Unchained nous montre un esclave noir devenu libre, et qui plus est, cow-boy, héros et justicier exemplaire pour tout le peuple noir des Etats-Unis. Dans ce film, Tarantino prend à nouveau la défense des opprimés (après les Juifs, les Noirs) et invente une issue heureuse à l’une des plus grandes plaies de l’histoire des Etats-Unis, l’esclavage. Doté d’un budget de 100 millions de dollars, Django Unchained a rapporté plus de 425 millions de dollars, ce qui en fait le plus grand succès commercial de Tarantino, sans compter pour l’instant Once upon a time in…Hollywood, qui reste le seul film à pouvoir battre cette performance. Du côté récompenses, il a même remporté deux Oscars (scénario pour Tarantino et meilleur second rôle pour Christoph Waltz), ce qui n’avait pas été le cas depuis Pulp Fiction. Cependant, le film mérite-t-il réellement un tel succès, surtout par rapport aux autres œuvres de Quentin Tarantino?
Avec ce film, Tarantino a enfin réalisé son rêve de pouvoir mettre en scène un western qui est finalement bien plus classique qu’il n’y paraît, et a surtout érigé un cow-boy noir en héros.
Par rapport à tous ses autres films, Tarantino a simplifié sa méthode dans Django Unchained : la narration y est parfaitement linéaire et dénuée de chapitrage. Pas de narration inversée (Reservoir dogs, Pulp Fiction), de découpage de la narration en cinq ou six morceaux (Kill Bill, Inglourious Basterds), de changement brutal de protagonistes ou de protagonistes multiples (Boulevard de la mort, Inglourious Basterds, Pulp Fiction) ou encore d’effet Rashômon avec diversité de points de vue sur un même événement (Jackie Brown, Reservoir Dogs). Non, Quentin, pour une fois, se calme et l’on s’ennuierait presque. La mise en place de l’intrigue est en effet un peu longue et repose sur le tandem un peu dépareillé que forment l’Allemand King Schultz (Christoph Waltz, cette fois-ci du côté du Bien), ancien dentiste et redoutable chasseur de primes, et l’ex-esclave libéré de ses chaînes, Django Freeman, le bien-nommé (Jamie Fox). Waltz démontrera encore une fois tout son talent polyglotte, même s’il se contentera uniquement dans ce film de passer de l’anglais à l’allemand, alors que Jamie Fox se réfugiera dans un silence presque total, se contentant de dégainer et de désapprouver du regard. Malgré une image magnifique (grand coup de chapeau pour Robert Richardson pour ses plans de fleurs et de nature), on ne retiendra pas grand’chose de la première heure, hormis une séquence hilarante sur les cagoules des membres du Ku Klux Klan. Il faudra attendre une heure pour que le duo rejoigne le Mississipi et trouve enfin un véritable antagoniste en la personne de Calvin J. Candie (Leonard DiCaprio dans un numéro délectable de jeune propriétaire terrien détestable et raciste).
Car Candie est le propriétaire de Broomhilda, la compagne de Django, que les deux compères tentent de faire affranchir, le film étant une sorte de version moderne de la légende de Siegfried et de Brunhilde, comme l’explique un peu lourdement Tarantino à travers le personnage de King Schultz. On pourrait alors s’attendre à une sublime histoire d’amour romantique où les amants séparés chercheraient désespérément à se retrouver, mais l’idylle passe en fait largement au second plan, Tarantino ne lui donnant guère de consistance face à la critique du système esclavagiste.
Tarantino va même un peu loin car il invente des combats de mandingues qui n’auraient a priori aucunement existé, se divertissant avec un certain sadisme de la cruauté de ces affrontements. Django Unchained est un conte, ce qui explique que Tarantino prenne beaucoup de libertés avec l’Histoire, tout comme dans Inglourious Basterds et Once upon a time in…Hollywood. Mais contrairement à Inglourious Basterds qui contient au moins trois séquences d’anthologie (les chapitres 1, 4 et une grande partie du 5), il faudra attendre longtemps pour apprécier la seule séquence d’anthologie du film, celle du repas offert par Calvin J. Candie. Cette séquence dure environ trente minutes et fonctionne sur une tension extrême entre les principaux protagonistes qui finit par se résoudre en carnage sanglant de sept minutes. Malheureusement, entre-temps, King Schultz et Calvin J. Candie seront tués, ce qui diminue de beaucoup l’intérêt du film, puisque seul Django reste en piste pendant trente minutes assez longues, avec l’assurance presque certaine de l’emporter à la fin.
Par conséquent, structurellement, hormis l’heure du milieu, le reste s’avère assez décevant. Néanmoins le film reste assez jouissif, souvent jubilatoire et largement au-dessus du tout-venant cinématographique mais peine à égaler les autres films de Tarantino. Il ne peut décemment être comparé à Pulp Fiction, Jackie Brown et Boulevard de la mort. Du strict point de vue de la mise en scène, il se trouve très en-dessous des deux Kill Bill et même Inglourious Basterds contient bien davantage de moments forts. En adoptant une linéarité trop classique et en renonçant à ses tours de passe-passe post-modernes, Tarantino perd beaucoup de la fascination qu’il peut engendrer. On pourrait même affirmer paradoxalement que Les Huit Salopards, dans ses failles et ses béances, s’avère peut-être bien plus passionnant à revoir et analyser que Django Unchained. Avec ce film, Tarantino a enfin réalisé son rêve de pouvoir mettre en scène un western qui est finalement bien plus classique qu’il n’y paraît, et a surtout érigé un cow-boy noir en héros, icône utopique donnant de l’espoir à toute une communauté, mais surtout unique exception à un système d’oppression comme rarement les Etats-Unis en ont connu.