The Son : With or without you…

Florian Zeller, dramaturge français, a décidé de mettre en images sa trilogie théâtrale : composée d’abord de La Mère (2010), puis du Père (2012), c’est enfin Le Fils (2018) qui vient offrir une trinité renouvelée sans Saint Esprit, pire sans de sains esprits. Si c’est au thème de la famille qu’il s’attaque, c’est sous le prisme de ses obstacles, problèmes, névroses, et de tout ce qui peut inquiéter, détruire, abattre un cocon familial resserré, pris dans les méandres des dégénérescences physique ou mentale, qu’on soit très jeune (et pris de dépression) ou très vieux (et pris de sénilité), amen. Bien que français, il choisit de réaliser ses films en anglais, – notamment pour la participation du Gallois Anthony Hopkins qu’il admire et qu’on verra respectivement dans The Father et The Son dans le rôle du plus vieux des aînés, comme l’Australien, Hugh Jackman, – et tourne entre la France, les États-Unis et l’Angleterre : c’est ainsi à la puissante actrice américaine, Laura Dern (actrice fétiche de David Lynch), que Florian Zeller fait appel dans The Son, son second long-métrage dans lequel il injecte en les transposant quelques éléments personnels familiaux.

Au nom du père, du fils, et bientôt de la mère… et pas dans de sains esprits…

Apparemment traumatisé par le divorce de ses parents, Nicholas ne supporte plus de vivre chez sa mère, Kate, qui le couve autant qu’elle se lamente sur son couple perdu, son mari Peter ayant trouvé meilleur amour auprès de Beth avec qui il vient d’avoir un bébé. Arrivé dans l’appartement new-yorkais de la famille recomposée, Nicholas pourtant continuera de sécher le lycée, sans ami, il n’a pas l’âme de vivre son adolescence qu’il détruit, à coups de scarification sur ses bras. Si son père Peter a lui-même souffert de l’absence de son propre père, de son indifférence vis-à-vis de sa mère malade, et qu’il ne veut pas reproduire pareille situation, il reste pourtant préoccupé par sa carrière professionnelle, qui promet à cet avocat une ascension auprès d’un sénateur à Washington, et qui pourrait d’après lui être modélisante pour un fils qu’il surveille, uniquement au niveau scolaire. En effet, bien que les deux parents se préoccupent de leur fils dont l’état semble de plus en plus alarmant, tout est dans le préfixe car ils ne s’en occupent pas spécialement : le récit les montre ainsi davantage témoins désarmés de la chute de leur adolescent chéri dans l’enfer d’une dépression dangereuse, et incapables de discerner clairement jusqu’où il est capable d’aller, chacun semblant au fond plus soucieux de l’image parentale à donner que capable de se décentrer sérieusement, ce malgré l’avis médical… On n’en dira pas davantage sur l’issue du récit, annoncée par divers symptômes prémonitoires, des indices cinématographiques que fait intervenir Florian Zeller pour créer une tension lente, sourde, angoissante et qui ne cessera qu’en fin de film. Si The Father utilisait quelque décalage temporel, des flous visuels dans les images pour caractériser le trouble d’un père devenu sénile, The Son joue sur la remémoration et le rapport au temps (passé, perdu), avec des images-souvenirs (archives fictives du couple originel) venant traverser l’esprit des parents, démontre une direction d’acteurs rigoureuse et prompte à montrer l’évolution des types (le père, la mère, la belle-mère, le fils), travaille sa bande sonore pour lui faire accompagner les personnages dans leur dépression collective, et offre un travail sur les corps et les visages, sans doute inspiré des qualités et compétences de Florian Zeller au théâtre.

Des visages, des figures, chantait Noir Désir, quand ici apparaît sur les visages de tous les personnages la figure de leurs sombres désirs…

Florian Zeller centre le film sur la question du regard et le « jeu » des egos. En effet, le film trace (et retrace) les sillons qu’un regard singulier (visuel, intellectuel, affectif) peut porter : sur le passé (la joie perdue), le présent (la colère et la tristesse), un avenir fantasmé (le regroupement d’une famille), et nous rend témoins, presque voyeurs, en nous faisant assister au lent processus de destruction – jusqu’au drame – que des parents et leur enfant – comme eux-mêmes avec leurs parents – peuvent vivre. Zen McGrath, interprétant Nicholas, est époustouflant de par les différents visages qu’il oppose à la caméra, en plan fixe, le montrant tour à tour blafard et vide ou plein d’une colère qu’il retourne contre lui-même : présent (et parfois dérangeant) à des moments inattendus du récit comme il arrive dans la réalité qu’un enfant le fasse, observant ses proches comme le monde avec un regard pris entre le dégoût et une indifférence déshumanisée, Nicholas est purement effrayant avec son couteau caché sous son matelas, angoissant à faire disparaître les objets d’une belle-mère dont il jalouse les liens avec son nouvel enfant. Ce sont aussi les parents qui, respectivement, s’ils sont montrés comme tentant de faire et donner le meilleur d’eux-mêmes, sont pris dans les méandres de leur amertume respective : la mère, Kate, mélancolique, nostalgique, revoit sa vie de famille passée et la nouvelle famille qu’a construite celui qu’elle n’a jamais cessé d’aimer, quand le père, Peter, nous transmet ses émotions face à son propre père trop absent, montré comme méprisant (incarné par Anthony Hopkins à travers une unique scène mémorable), revoit à la fois le père qu’il a été vis-à-vis de Nicholas tout en tentant d’assurer son rôle dans sa nouvelle famille et vis-à-vis de son bébé : les quelques rencontres entre les parents sont pour eux le moyen de revoir leurs réussites ou de se figer devant leur échec, sans pouvoir en comprendre les enjeux, trop occupés à leur propre personne finalement, comme le grand-père qui posera un discours sur le regard qu’il devrait porter sur son fils élevant son petit-fils. Deux points sont communs à toutes ces situations : généralement, les personnages se retrouvent dans un huis-clos (un appartement ou une maison), en face-à-face en champ contre-champ ou en plan plus large, dans un jeu sur leur hors-champ, prompt à créer une tension ; c’est également entre eux et en eux que coule le poison qui les ronge de l’intérieur jusqu’à les épuiser, voire pire…

Le traitement de la dépression adolescente n’a sans doute jamais été filmé de la sorte.

Un autre aspect du film consiste à le construire à la manière d’une tragédie théâtrale, en toute logique vu l’identité du réalisateur par ailleurs. La question de l’impuissance de tous les adultes, presque à la manière d’une fatalité, celle de la tragédie familiale et humaine, est traitée comme au théâtre et avec les critères propres au genre : le récit du film développe en effet ses actes depuis l’exposition avec son élément adjuvant (un changement de lieu), son nœud (le divorce des parents) et son élément opposant (l’état de Nicholas), jusqu’à son dénouement, en passant par quelques péripéties du dehors au dedans. C’est ainsi qu’à chaque fois que l’on peut croire qu’un progrès va avoir lieu, il est contrecarré par la puissance de ce qui échappe à tous : la dépression de Nicholas. Le récit, lui, vient faire éprouver successivement la crainte et la pitié tout en ayant ses effets cathartiques, en exploitant les thèmes propres à la tragédie antique tels que l’amour ou la haine, la jalousie et la colère, traduits par les gestes, les regards, les réactions, mais aussi le sens de l’honneur (contemporain) très prépondérant ici chez les trois hommes du grand-père au petit-fils, que l’on perçoit comme trois héros tragiques à chaque âge de la vie humaine, et comme victimes d’une fatalité à laquelle ils n’échapperont pas – malgré des retrouvailles entre parents, le déménagement du fils, l’abandon d’un poste par le père. Si le film nous tient ainsi – car qui ne saurait être touché par l’enjeu du récit –, il demeure classique car il possède quelque lyrisme, quelques longueurs, réveillées par le rôle de la belle-mère, interprétée par Vanessa Kirby, aussi bienveillante qu’inquiétante, et un certain didactisme (notamment à la fin lors de l’internement de l’adolescent). Il n’en reste pas moins que The Son porte attention à un sujet, la dépression adolescente, et à ses sujets, en s’attachant aux questions relationnelles et à la problématique de l’incommunicabilité et de l’étanchéité des êtres, sans en faire trop, et vient finalement de traiter de la perte, de l’adolescence, des illusions adultes, dans une époque qui a trop tendance à déréaliser le monde. Et, pour finir, after The Son, wait for The Mother...

3.5

RÉALISATEUR : Florian Zeller  
NATIONALITÉ : France
GENRE : drame familial 
AVEC : Zen McGrath, Hugh Jackman, Laura Dern, Anthony Hopkins, Vanessa Kirby, Hugh Quarshie, William Hope, Akie Kotabe
DURÉE : 2H03
DISTRIBUTEUR : Orange Studio/UGC
SORTIE LE 1er mars 2023