En trois films (In the bedroom, Little children, Tár), Todd Field a su construire une oeuvre très personnelle, assez intimiste, quoi que Tár soit sans doute son oeuvre la plus ambitieuse, dépassant les deux heures et demie de projection. Ce que les gens savent moins, c’est que Todd Field est également acteur et que tous ont pu le remarquer dans le rôle intrigant du pianiste Nick Nightingale dans Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick. Tár se situe d’emblée dans l’actualité la plus brûlante, en mettant en scène une cheffe d’orchestre lesbienne qui se trouve en butte à des accusations de chantage sexuel…
Lydia Tár, cheffe avant-gardiste d’un grand orchestre symphonique allemand, est au sommet de son art et de sa carrière. Le lancement de son livre approche et elle prépare un concerto très attendu de la célèbre Symphonie n° 5 de Gustav Mahler. Mais, en l’espace de quelques semaines, sa vie va se désagréger d’une façon singulièrement actuelle. En émerge un examen virulent des mécanismes du pouvoir, de leur impact et de leur persistance dans notre société.
Un portrait-puzzle intrigant d’une femme de pouvoir, où l’on apprend surtout que le pouvoir corrompt tout le monde, quel que soit le sexe.
Le début du film est assez lent et programmatique, voire ésotérique, presque réservé aux familiers de l’art des chefs d’orchestre, Todd Field faisant de multiples références aux arcanes de la musique classique. Il prend son temps en filmant des discussions en champ contre-champ ou en plan-séquence presque interminable entre Cate Blanchett et ses différents interlocuteurs. Il a choisi l’option du portrait de cette femme cheffe d’orchestre habituée à broyer avec le sourire ceux qui lui résistent, et à bien répartir les divers compartiments de sa vie. Donc Tár est essentiellement cela, le portrait pointilliste d’une femme qui ne dévoilera jamais son intériorité ni ses pensées les plus intimes mais que l’on verra progressivement déchoir de son statut privilégié.
Dans ce registre, Cate Blanchett est évidemment impeccable, quoique assez prévisible, dans une tonalité très froide, sèche et tranchante comme un couperet. L’on peut préférer l’interprétation à fleur de peau et bien plus difficile à réussir de Ana de Armas dans Blonde, devant se confronter à la légende de Marilyn Monroe. Mais, paraît-il, comme Cate Blanchett tient un rôle avec un grand nombre de dialogues, se situant dans une tranche d’âge assez peu favorable, la cinquantaine, et ne jouant pas sur l’aspect de séduction, ces trois éléments font que, pour l’instant, bien que déjà récipiendaire d’un Oscar (pour Blue Jasmine de Woody Allen), elle l’ait à chaque fois emporté sur la performance pourtant hallucinante de Ana de Armas. Seule Noémie Merlant, dans un personnage trop peu développé qui rappelle celui de Kristen Stewart dans Sils Maria d’Olivier Assayas, apporte un peu d’émotion à un film qui se se situe à la lisière de la désincarnation (ces plans larges où les personnages sont systématiquement filmés à distance, de loin). Reconnaissons à Cate Blanchett un charisme incontestable et une autorité assez effrayante qui lui a permis d’être récemment Présidente du jury du Festival de Cannes en 2018 et qui fait que peu d’actrices peuvent se substituer à elle dans ce rôle de cheffe d’orchestre impitoyable dont le pouvoir va progressivement s’effriter.
Néanmoins Todd Field n’approfondit guère dans son film des thématiques passionnantes, comme celle de la Cancel Culture, lorsqu’un apprenti chef d’orchestre déclare ne pas s’intéresser à Bach ou Dvorak, sous prétexte de misogynie du compositeur, ou bien lorsque le personnage de Lydia Tár est confrontée à une vague d’accusations #MeToo suite au suicide de l’une de ses anciennes élèves. L’originalité provient du fait que l’accusée est une femme qui aurait abusé des mêmes mécanismes de pouvoir que les hommes, tels que les ont analysés les journalistes à l’origine du mouvement #MeToo. Mais Todd Field a choisi de n’approfondir aucune de ces intrigues et de les laisser volontairement en plan ou même hors-champ. Car le véritable début du film commence vers 1h35, ce qui laisse un goût d’inachevé dans ce portrait-puzzle d’une femme de pouvoir, où l’on apprend surtout que le pouvoir corrompt tout le monde, quel que soit le sexe.
RÉALISATEUR : Todd Field NATIONALITÉ : américain GENRE : Drame, biopic, musical AVEC : Cate Blanchett, Noémie Merlant, Nina Hoss, Sophie Kauer DURÉE : 2h38 DISTRIBUTEUR : Universal Pictures International France SORTIE LE 25 janvier 2023