Faisant partie de la Sélection Officielle 2020, Teddy révèle le talent assez ahurissant de deux frères Ludovic et Zoran Boukherma, déjà repérés par l’ACID grâce à un premier long métrage Willy 1er, aux allures de comédie sur la ruralité dont ils sont issus. A travers l’histoire d’un post-ado en rébellion intériorisée contre la société qui ne lui offre pas de diplôme ni d’emploi stable, Teddy montrera un impressionnant retour du refoulé sous la forme d’une transformation en loup-garou qui laissera peu de personnes indemnes dans un village du côté des Pyrénées.
Dans un village du côté des Pyrénées, Teddy, 19 ans, sans diplôme, travaille comme intérimaire dans un salon de massage. Il a pour petite amie Rebecca qui va passer cette année son baccalauréat. Un jour, dans la forêt, il se fait mordre dans le dos par une créature indéterminée, loup, chien ou homme, qui semble rôder depuis quelques temps dans la région, en laissant des cadavres ensanglantés de chèvres. Teddy va s’apercevoir que la morsure qu’il a reçue va enclencher chez lui des bouleversements physiques et psychologiques irrémédiables…
Teddy est la parfaite illustration d’une comédie horrifique, comme si Bruno Dumont (P’tit Quinquin) mutait progressivement en Neil Jordan (La Compagnie des Loups), Joe Dante (Hurlements) ou John Landis (Le Loup-garou de Londres).
Le cinéma, c’est souvent une histoire de frères, à commencer bien entendu par Louis et Auguste Lumière, puis plus proches de nous, les Taviani, les Quay, pour finir par Luc et Jean-Pierre Dardenne ou encore Joel et Ethan Coen (voire plus récemment une histoire de soeurs, comme les soeurs Coulin). Comme si le cinéma représentait un constant dialogue entre des interlocuteurs semblables et pourtant différents, la fiction et le documentaire, l’art et le commerce, l’ombre et la lumière. Une nature duale qui s’incarnerait en deux corps. Il faut sans doute rajouter aujourd’hui les jumeaux Boukherma. Ludovic et Zoran, originaires de Marmande, ont gardé des traces fictionnelles de leur inscription dans la ruralité française, cf. leur premier film Willy 1er qui contait le départ drolatique d’un quinquagénaire vers un village voisin de celui de ses parents. Depuis, les Boukherma ont rajouté une touche de fantastique et d’horreur à leur cinéma au départ comique. Teddy en est la parfaite illustration, comme si Bruno Dumont (P’tit Quinquin) mutait progressivement en Neil Jordan (La Compagnie des Loups), Joe Dante (Hurlements) ou John Landis (Le Loup-garou de Londres). Entre l’univers de la province, montré avec affection et ironie, et celui du fantastique, quasiment abstrait, provenant de l’imaginaire cinéphilique, les Boukherma parviennent à mettre en forme une structure cohérente et crédible, ce qui n’est pas donné à chacun qui s’y essaie.
Les Boukherma pratiquent donc le mélange des genres, passant sans transition de la comédie à l’horreur. Ils ont surtout chevillée au corps la passion du film de genre, exsudée par tous ses pores par leur film Teddy. L’avenir du cinéma français, depuis Grave de Julia Ducournau, a sans doute effectué un virage vers le film de genre, virage confirmé par La Nuée et Teddy, voire à un moindre degré par Petit Paysan d’Hubert Charuel. Même manquant légèrement de moyens (la séquence de carnage à la kermesse aurait pu être davantage développée), ils sont suffisamment intelligents pour mettre en avant dans leur mise en scène le hors-champ et le décadrage, pour susciter la peur et l’angoisse. Ils font surtout démonstration d’un talent hors pair de directeur d’acteurs, en particulier pour Anthony Bajon, sans doute le meilleur acteur de sa génération, remarquable et méconnaissable dans le rôle-titre, qui nous avait tant émus auparavant dans un registre différent, en se révélant dans Tu mérites un amour de Hafsia Herzi ou La Prière de Cédric Kahn. En propriétaire d’un salon de massage, harcelant son employé, Noémie Lvovsky fait également des étincelles, comme souvent.
Or, dans Teddy, l’histoire de loup-garou est essentiellement un prétexte pour évoquer le blocage des jeunes gens nés en province dans une ruralité étouffante. Bloqués par leur manque de formation, leurs relations difficiles avec l’autorité (les conflits de Teddy avec la gendarmerie, une famille presque absente), une vie sentimentale vouée à l’échec en raison des différences de classe sociale, ces jeunes gens finissent par bouillir intérieurement de leurs rêves inassouvis, de leurs échecs cumulés. Ludovic et Zoran Boukherma y ont sans doute pensé, Teddy (le personnage) représente une image de ce qu’ils auraient pu devenir s’ils ne s’étaient pas transformés en artistes. Un immense retour du refoulé qui dévaste absolument tout sur son passage, sans remords ni culpabilité.