Mine de rien, cela fait déjà quasiment trente ans que Noémie Lvovsky a débarqué dans le cinéma français contemporain. Sept films en trente ans ainsi que de multiples participations en premier ou second rôle en tant qu’actrice aux films des autres qui lui ont permis d’imposer sa silhouette renoirienne et sa personnalité truculente. Trente ans pendant lesquels elle est parfois devenue une influence majeure : Céline Sciamma la cite comme principale inspiratrice pour sa vocation de réalisatrice. Cela tombe bien, La Grande Magie est certainement l’un de ses meilleurs films, son plus brillant depuis Camille redouble, qui lui permet de récapituler ses thématiques essentielles : le désamour dans le couple, le temps qui ne passe pas, la foi dans l’illusion de la fiction.
France, les années 20. Dans un hôtel au bord de la mer, un spectacle de magie distrait les clients désœuvrés. Marta, une jeune femme malheureuse avec son mari jaloux, accepte de participer à un numéro de disparition et en profite pour disparaître pour de bon. Pour répondre au mari exigeant le retour de sa femme, le magicien lui met entre les mains une boîte en lui disant qu’elle est à l’intérieur. Cependant il ne doit l’ouvrir que s’il a absolument foi en elle, sous peine de la faire disparaître à jamais. Le doute s’installe alors chez Charles…
Avec La Grande Magie, Noémie Lvovsky nous invite avec gaieté et enjouement à tourner définitivement la page du confinement dans nos vies.
Pour réaliser son film, Noémie Lvovsky s’est librement inspirée de la pièce culte La Grande Magie du dramaturge Edouardo de Fillippo. Elle y a trouvé un écho à ses préoccupations les plus intimes dont celle-ci déjà à l’oeuvre dans Camille redouble : « le temps est une convention, le temps ne passe pas« . Or la pièce La Grande Magie est en effet une étrange métaphore pour exprimer un moment où la vie se trouve en sommeil, en carafe, en parenthèses, comme lorsque Marta a disparu de la vie de Charles, pendant quatre ans. On peut dresser un parallèle assez juste avec la période de confinement où le monde paraissait s’être arrêté. Pendant cette absence, Charles a besoin de croire en une fiction, le fait que Marta se trouve dans une petite boîte en sa possession. La fiction dans notre cas, ce serait par exemple, soit que le vaccin puisse nous sauver de la pandémie, soit que le vaccin serait inutile. En témoigne aussi une très jolie scène où Charles ne croit plus que dans les images des choses qui se substituent de manière surréaliste aux choses elles-mêmes. Dans un cas comme dans l’autre, la foi dans une fiction permet de sauvegarder notre santé mentale et notre confiance en la vie. C’est ce que montre La Grande Magie, ainsi que les ravages du désamour dans un couple, thème déjà présent dans Camille redouble, où chacun est désynchronisé par rapport à l’autre et aime alors que l’autre n’aime plus et inversement.
Néanmoins Noémie Lvovsky a opéré des changements majeurs par rapport à la pièce d’Eduardo de Filippo : elle l’a replacée dans le contexte des années 20 (alors que la date de l’action n’était pas précisée) et surtout elle a eu l’idée brillante de la transformer en comédie musicale où les acteurs exprimeraient en chansons leurs sentiments. Le premier choix permet de se replacer à une époque, la Belle Epoque, après la Première Guerre Mondiale, où la grippe espagnole avait frappé, et le monde se réveillait d’une torpeur engendrée par le conflit militaire et une pandémie. Le parallélisme avec notre époque est ainsi assez frappant en remplaçant la Première Guerre Mondiale par le terrorisme d’Al-Quaida ou le conflit russo-ukrainien. Ce contexte permet aussi à Noémie Lvovsky de glisser des clins d’oeil au style burlesque du cinéma muet, (tournage de scènes en accéléré, fermeture à l’iris, surjeu volontaire), et de faire une déclaration d’amour à l’art du spectacle à travers cette troupe de magiciens forains.
Le deuxième choix fondamental relève d’une certaine tendance dans le cinéma français post-confinement à vouloir réenchanter la vie par des chansons (Don Juan, Tralala, Le Divorce de mes marrants, Les Goûts et les couleurs). Dans cette tendance, La Grande Magie est sans doute l’oeuvre la plus réussie, grâce aux chansons magiques de Feu! Chatterton qui s’est surpassé pour l’occasion. De nombreux airs flottent et subsistent dans l’esprit, bien après la projection, par exemple la chanson entonnée par Catherine Hiegel ou le final enjoué, « Compagnons des mauvais jours, je vous souhaite une bonne nuit« . Comme l’écrivait Beaumarchais, dans Le Mariage de Figaro, « tout finit par des chansons« . Avec La Grande Magie, en s’appuyant sur une troupe d’acteurs tous plus brillants les uns que les autres (de Denis Podalydès à Sergi Lopez, en passant par Judith Chemla et Rebecca Marder, décidément inséparables, il faudrait en fait tous les citer), Noémie Lvovsky nous invite avec gaieté et enjouement à tourner définitivement la page du confinement dans nos vies.
RÉALISATEUR : Noémie Lvovsky NATIONALITÉ : française GENRE : comédie musicale, comédie dramatique AVEC : Denis Podalydès, Sergi Lopez, Noémie Lvovsky, Judith Chemla, Rebecca Marder, François Morel, Damien Bonnard DURÉE : 1h43 DISTRIBUTEUR : Ad Vitam SORTIE LE 8 février 2023