Couleurs de l’incendie : la vengeance est un plat qui se mange très froid

La réussite de l’adaptation d’Au revoir là-haut, Prix Goncourt 2013, de Pierre Lemaître, par Albert Dupontel, – un succès public de plus de 2 millions d’entrées, 5 César dont celui du meilleur réalisateur et de la meilleure adaptation (!) et une belle réception critique – appelait forcément une suite. Cette suite avait d’ailleurs déjà été écrite par le romancier, Couleurs de l’incendie, retraçant l’histoire de Madeleine Péricourt, la soeur du malheureux Edouard, protagoniste principal de Au revoir là-haut, et héritière de leur père, Marcel. Le lien est assez ténu puisqu’il n’est quasiment fait référence à Edouard dans Couleurs de l’incendie ; il le sera encore davantage dans Miroirs de nos peines, le troisième volet de la trilogie de Pierre Lemaître, consacrée à l’entre-deux guerres et intitulée Les Enfants du désastre. Pour l’adaptation de ce deuxième volet, on aurait pu penser que Albert Dupontel allait rempiler mais il a profité de ces cinq dernières années pour écrire et réaliser Adieu les cons, remporter 7 César en 2021 et atteindre, en dépit de la pandémie, également 2 millions d’entrées soit le même score que Au revoir là-haut. C’est donc à un autre acteur-réalisateur, Clovis Cornillac, qu’a été confiée cette nouvelle adaptation d’un roman de Pierre Lemaître. Contre toute attente, Couleurs de l’incendie est plutôt une jolie réussite dans le style des romans-feuilletons de Feuillade ou d’Alexandre Dumas, soigneusement ouvragée, avec un réel amour de ses personnages et de ses comédiens.

En février 1927, Marcel Péricourt, le richissime banquier, meurt, sept ans après le suicide de son fils Edouard défiguré par un obus lors de la Première guerre mondiale. Madeleine Péricourt, la soeur d’Edouard, hérite alors de l’empire Péricourt. Malheureusement lors des funérailles de son grand-père, son fils Paul accomplit un geste irréparable qui sera le premier signe de la chute inéluctable de Madeleine. Elle devra faire face à un conspiration unissant un monde d’hommes contre elle…

Couleurs de l’incendie est plutôt une jolie réussite dans le style des romans-feuilletons de Feuillade ou d’Alexandre Dumas, soigneusement ouvragée, avec un réel amour de ses personnages et de ses comédiens.

Ayant commencé son oeuvre d’écrivain à plus de cinquante ans, Pierre Lemaître vient du polar (en particulier les enquêtes du commissaire Camille Verhoeven) et a gardé de son expérience le sens du suspense, le goût de l’image et le côté feuilletonnesque qui l’ont fait saluer par un certain Stephen King. Passé au roman historique grâce à Au revoir là-haut, il a conservé les mêmes qualités. Or Pierre Lemaître est l’adaptateur de ses propres oeuvres et donc le point névralgique qui unit Au revoir là-haut et Couleurs de l’incendie, les livres et films. Il est fort probable qu’il sera également l’adaptateur du troisième volet Miroir de nos peines qui sera peut-être mis en scène par un autre acteur-réalisateur après Dupontel et Cornillac. Connaissant parfaitement son univers romanesque, Lemaître a élagué et simplifié ce qui pouvait l’être au cinéma : ainsi, par exemple, contrairement au roman, dans le film, Paul n’est plus bègue, histoire de ne pas rajouter handicap sur handicap, ou Solange la cantatrice (Fanny Ardant) ne chante plus systématiquement assise. De même, quelques détails dans la destinée des personnages sont changés (celle des jumelles de Charles Péricourt ou quelques années supplémentaires pour le journaliste André Delcourt). Néanmoins l’essentiel de l’histoire est préservé, c’est-à-dire une vengeance terrible, à la Monte-Cristo, Pierre Lemaître proclamant que Couleurs de l’incendie rend directement hommage à l’un de ses maîtres Alexandre Dumas.

Contrairement à Au revoir là-haut qui était essentiellement une histoire d’hommes, Couleurs de l’incendie se revendique comme une fable féministe, en plaçant au centre de l’histoire la résilience de Madeleine qui parviendra à surmonter une mystérieuse conspiration destinée à la ruiner. Dans le film de Dupontel, le personnage était interprété par Emilie Dequenne ; il l’est cette fois-ci par Léa Drucker qui y trouve l’occasion de l’une de ses meilleures compositions en femme trahie qui cherche à se venger de ses ennemis dissimulés. Bien qu’éloignée temporellement de notre époque, l’histoire de Couleurs de l’incendie rappellera de nombreux thèmes prégnants aujourd’hui : en-dehors du féminisme, le démon de la pédophilie expliquera le geste tragique de Paul au début du film ; le nazisme et l’antisémitisme feront une démonstration éclatante de leur pouvoir, à travers une apparition saisissante d’Adolf Hitler au concert de Solange ; enfin les profiteurs de guerre se manifesteront également à travers Gustave Joubert et Charles Péricourt, hommes d’affaires et politique dépourvus de scrupules.

Prenant la succession d’Albert Dupontel aux commandes de la suite de l’adaptation de la trilogie de Pierre Lemaître, Clovis Cornillac ne s’était pas forcément signalé à notre attention par le passé. Il a pourtant réalisé des films témoignant d’idées originales sinon expérimentales : Un peu, beaucoup, aveuglément sur un couple faisant connaissance à travers une cloison ou C’est magnifique!, sur un homme perdant progressivement les couleurs de son corps. Dans Couleurs de l’incendie, il assure une mise en scène classique, sans fioritures, hormis quelques fautes de goût dues à des ralentis superflus. Il se coule sans difficulté dans le moule des films d’époque et de prestige de Gaumont (Marguerite, Illusions perdues, Au revoir là-haut) et dirige brillamment ses comédiens (Léa Drucker, Benoît Poelvoorde, Olivier Gourmet) ainsi que lui-même à qui il a réservé un rôle déterminant. Il parvient même dans le dernier tiers du film à donner une dimension burlesque (l’explosion du moteur) et feuilletonnesque particulièrement agréable à sa mise en scène dans l’épisode berlinois. Avec une digne humilité, Cornillac s’en sort avec les honneurs grâce un véritable amour de ses personnages et de ses acteurs.

Sans atteindre les sommets d’un Dupontel qui s’était totalement réapproprié l’histoire d’Au revoir là-haut, avec le consentement de Pierre Lemaître, Clovis Cornillac réussit un divertissement populaire et grand public de bon aloi, rondement mené, où l’on nous rappelle que, face aux conspirateurs et personnes de peu de talent, la vengeance est un plat qui se déguste encore mieux lorsqu’il est très froid.

3

RÉALISATEUR :  Clovis Cornillac 
NATIONALITÉ : française 
AVEC : Léa Drucker, Benoît Poelvoorde, Olivier Gourmet, Alice Isaaz, Clovis Cornillac
GENRE : drame, historique 
DURÉE : 2h16 
DISTRIBUTEUR : Gaumont Distribution 
SORTIE LE 9 novembre 2022