Demon Slayer, le Film : Le Train de l’Infini – Beaucoup de bruit pour rien ?

Loin derrière nous, l’époque où les anime ne circulaient en France que sous le manteau. Après deux décennies d’efforts redoublés de la part de distributeurs passionnés comme Eurozoom, il est aujourd’hui possible de découvrir en salles françaises de plus en plus de succès de l’animation japonaise. Chaque année, une poignée de films d’animation japonaise se fraye ainsi une place dans les salles françaises, quoique rarement dans les salles de périphérie ; malheureusement, dans les discours critiques comme pour le public non averti, ces films peinent à se distinguer et à sortir de l’ombre du légendaire Studio Ghibli. Cependant, aujourd’hui, un film d’animation japonaise échappe au sort de ses congénères et se projette dans plus de 400 salles à travers la France. L’anime qui fait tant parler n’est rien d’autre que le premier succès du box-office japonais d’aujourd’hui, un véritable phénomène de société qui a vu en 2020 l’adaptation d’un manga surpasser en nombre d’entrées les classiques du Studio Ghibli et les plus grands succès hollywoodiens comme Titanic : ce film, c’est Demon Slayer, Le Film : Le Train de l’Infini. Demon Slayer (Kimetsu no Yaiba pour les intimes ou les habitués des rayons manga) est l’adaptation du manga du même nom créé par l’autrice Gotôge Koyoharu, publié dans le magazine Shônen Jump de 2016 à 2020, aux côtés de grands noms comme One Piece, Haikyû ou My Hero Academia. Mélangeant les codes narratifs du récit pour jeunes adolescents, le shônen, avec un récit historique prenant place dans le Japon des années 1920 et une histoire de vampires, le manga a su convaincre et fidéliser une audience large. L’adaptation du premier tiers du manga en une série d’animation produite par le studio Ufotable en 2020, véritable succès critique, esthétique et populaire, avait déjà considérablement élargi le nombre de fans de l’œuvre originale ; avec l’adaptation en film, Demon Slayer rentre dans la légende, se fait une place dans les box- offices du monde entier et transcende les frontières. Projeté partout en France, réunissant dans les salles jeunes adolescents et publics plus âgés, Demon Slayer semble ainsi échapper au relatif anonymat auquel était confinée l’animation japonaise en France : pour autant, que vaut vraiment ce film ?

Demon Slayer – Kimetsu no Yaiba, le Film : Le Train de l’Infini reprend l’intrigue du manga juste après la fin de l’adaptation en série d’animation, au début du tome 7. Le personnage principal, Kamado Tanjirô, dont la jeune sœur est la seule rescapée du massacre de sa famille par un démon, se dévoue chaque jour à la chasse aux monstres en s’engageant auprès des Pourfendeurs de Démons. Dans cette société secrète dédiée à l’extermination totale des démons, il est accompagné de Zen’itsu, un coureur de jupons réputé pour sa couardise, et du brusque et incontrôlable Inosuke, dont le visage est caché sous une rustique tête de sanglier. Ensemble, ils reçoivent de leurs supérieurs l’ordre de se déployer et d’enquêter sur un train à vapeur dans lequel de nombreux voyageurs ont été portés disparus. Soupçonnant l’activité d’un démon, les Pourfendeurs de Démon ont aussi dépêché l’un de leur meilleurs soldats, le « pilier des flammes » Rengoku, dont la noblesse de cœur n’a d’égal que le volume de sa voix. Ensemble, le groupe de Pourfendeurs traverse la nuit noire dans un train filant au loin, un train dont un démon pourrait bien être aux commandes.

S’il va sans dire qu’il vaut mieux être à jour sur les épisodes précédents pour apprécier au mieux le film, les producteurs de celui-ci ont cependant pris en compte tous les cas de figure possible et rappellent rapidement au début du film les enjeux narratifs qui traversent l’histoire. Passées les premières scènes didactiques, le film monte en régime et fait clairement comprendre que l’essentiel de celui-ci reposera dans l’exécution superbe de l’animation. Car dire que les scènes d’action sont chorégraphiées serait un euphémisme : entre les effets graphiques à chaque coup de sabre, les ralentis, les poses accentuées par une perspective dramatique et un jeu de caméra qui n’est possible que dans l’animation la plus experte, il est incontestable que le film tire toute sa force de ses scènes d’action. Cependant, pour les publics familiers de la série, il n’y a là rien de bien surprenant : le studio Ufotable, déjà connu pour l’animation exceptionnelle des déclinaisons en série d’animation de la franchise Fate, est plus que réputé pour ses scènes d’action inimitables, marquées par une grande expertise de la chorégraphie, de la mise en scène, de l’animation et des effets spéciaux. Si le film brille de par son animation, on pourra donc regretter que pour l’occasion, le studio n’ait pas choisi une esthétique différente, démarquant le film de la série d’animation qui le précède. Mais c’est le prix à payer pour l’excellence de Ufotable, dont l’animation brille toujours de par son cinématisme et ses effets spéciaux, peu importe les supports.

Demon Slayer : Le Train de l’Infini est, plutôt qu’un bon film, une excellente adaptation, un succès esthétique, commercial et industriel qui ferait presque oublier les lenteurs de son récit – à condition, bien sûr, de n’avoir d’yeux que pour le spectacle graphique.

Cependant, le film reste décevant sur d’autres points. Le scénario notamment peine parfois à convaincre, de surcroît quand il caricature à l’extrême Zen’itsu et Inosuke pour faciliter le récit : clichés d’eux mêmes, les deux personnages peuvent très vite devenir difficilement supportables à force de se confondre en traits de caractère grossiers, voire artificiels. La première partie du film paraîtra ainsi très longue, que ce soient les premières minutes laborieuses de restitution des enjeux du récit comme la longue première phase narrative précédant les deux combats clés du film. L’attente est de surcroît plus longue que les lecteurs et lectrices du manga familiers de l’arc ici adapté connaissent déjà l’intrigue, et peuvent donc à raison être moins touchés par les enjeux narratifs mis en place dans le premier tiers du film. Un sacrifice nécessaire pour poser les enjeux des deux combats du reste du film ? En tout cas, une chose est sûre : là où l’animation est au devant de la scène, le scénario, lui, est à la peine.

Il va sans dire que Demon Slayer : Le train de l’Infini est un film qui en met plein les yeux. Cependant, l’animation exceptionnelle , comme une couche de vernis étincelant, cache en profondeur certaines faiblesses du récit, faiblesses qui trouvent leurs sources entre le matériau de base et les exigences propres à une adaptation cinématographique. Si le film réussit à convaincre, c’est qu’à chaque instant, la mise en scène, l’animation, les effets spéciaux et la musique nous convainquent de regarder ailleurs, d’oublier le récit pour n’être plus que dans le spectacle. Dans cet esprit Demon Slayer : Le Train de l’Infini est, plutôt qu’un bon film, une excellente adaptation, un succès esthétique, commercial et industriel qui ferait presque oublier les lenteurs de son récit – à condition, bien sûr, de n’avoir d’yeux que pour le spectacle graphique. Pour celles et ceux qui ne pardonneraient pas aux faiblesses narratives de l’œuvre de base et de son adaptation, le film paraîtra, bien loin de ce qu’en disent les chiffres du box-office, faire beaucoup de bruit pour rien.

3

RÉALISATEUR : Sotozaki Haruo
NATIONALITÉ : Japon
AVEC : Hanae Natsuki, Kitô Akari, Matsuoka Yoshitsugu, Shimono Hiro
GENRE : Action, Aventure
DURÉE : 1h57
DISTRIBUTEUR : CGR Events
SORTIE LE 19 mai 2021