Les Sept samouraïs : portrait d’un japon féodal

Récompensé par un Lion d’Argent à la Mostra de Venise de 1954, Les Sept samouraïs est un titanesque morceau de cinéma figurant assurément parmi les chefs-d’œuvre incontestables de l’histoire du septième art . Avec cette œuvre spectaculaire, Akira Kurosawa a introduit et popularisé le cinéma japonais sur le continent européen. A une époque où l’Europe s’ouvrait vers d’autres horizons cinématographiques, le cinéaste nippon a été l’un des représentants du cinéma asiatique, qui comprenait Kenji Mizoguchi, Yasujiro Ozu ou Mikio Naruse. Les sept samouraïs est probablement le film le plus connu de sa carrière composée de 30 longs-métrages aussi inestimables que qualitatifs. Avant la production de cette fresque guerrière, la filmographie de l’empereur japonais comportait déjà quinze réalisations, dont Rashōmon , sorti en 1950 et considéré comme un tournant majeur dans l’expression cinématographique. C’est ici l’opportunité d’évoquer le Japon féodal et de se questionner sur cette figure emblématique de la culture japonaise.

En 1952, alors qu’il était sous contrat avec la Toho et venait de terminer Vivre, Kurosawa collabore avec deux autres scénaristes, Shinobu Hashimoto et Hideo Oguni, pour entamer l’écriture de cette monumentale épopée sur ces valeureux combattants armés de sabres. L’histoire se situe en pleine ère féodale. De pauvres villageois sont victimes de pillages effectués par des bandits. Désespérés, ils décident de faire appel à des samouraïs pour se défendre et vaincre l’ennemi.  

La notoriété internationale de ce long métrage vient du fait que sa conception est proche des conventions cinématographiques occidentales, et qu’il s’inspire notamment des fameux westerns américains signés John Ford .

Il convient de définir ce qu’est le véritable genre de ce film. Il s’agit en réalité d’un Chanbara, style provenant du théâtre traditionnel japonais, le Kabuki, et qui met en scène le mythe du samouraï dans un genre mélangeant l’aventure et le cape et d’épée. Kurosawa s’approprie cette méthode consistant à filmer des combats au sabre, et y puise son inspiration pour tourner Les sept samouraïs. Il reprendra ce thème quelques années plus tard avec Yojimbo ou Sanjuro, avec succès.

L’œuvre est divisée en deux parties, développant d’abord le dur contexte subi par ces habitants, puis décrit en profondeur le personnage du samouraï avec toutes ses valeurs guerrières et son honneur. Les premières minutes sont primordiales pour comprendre toute la teneur, avec ces bandits qui font demi-tour, prêt à attaquer après la moisson. S’ensuit alors un plan d’en haut sur ces villageois apeurés, puis un raccord et des plans plus rapprochés sur leurs visages.  En seulement quelques instants, Kurosawa expose toute l’intrigue, explicitant le contexte social avec ces paysans au quotidien grevé par le système d’imposition. Après cette brillante entrée en matière, le scénario se focalise alors sur la recherche peu évidente de ces renforts souhaités. Cette première partie se mue en présentation de ces combattants, adeptes des pratiques militaires et pratiquant le respect le plus strict possible du code d’honneur, le Bushidô.  Kurosawa livre sa propre version du samouraï, en les décrivant de manière inédite, en défenseur du peuple, non soumis aux obligations militaires classiques. En effet, son rôle prioritaire était de se mettre sous les ordres d’un seigneur, le Daimyo, et de lui apporter assistance et protection. Il était donc rare de le voir combattre au profit de populations défavorisées n’ayant pas de moyens financiers suffisants. Néanmoins, les rônins, dont il est question ici, bénéficiaient d’une forme d’indépendance dans le choix de leurs missions. Ainsi se dessine une relation peu habituelle, entre deux clans pourtant socialement et financièrement divergents.

Mettre en scène cette association en apparence déséquilibrée est une façon de démystifier le mythe du samouraï, pour le rendre plus moderne et accessible. Les notions d’humanisme et de solidarité viennent s’ajouter aux valeurs fondamentales dictées par le Bushido, dont les principales vertus sont la loyauté et la bienveillance. Kurosawa décrit une situation où les antagonismes sont absents, où les deux groupes font abstraction de leurs différences pour créer une union défensive contre ces brigands. Défendre ce qui est juste, voilà sans doute la morale voulue par le réalisateur qui s’efforce de modifier radicalement l’image du samouraï, de le transformer en justicier héroïque. Kurosawa définit cette relation de plusieurs manières. La confiance est symbolisée par ces trois repas par jour, qui font office de récompenses, ainsi que par le personnage de Kikushiyo (Toshiro Mifune), recruté parmi les villageois. Avec son comportement fantasque et jovial, cette recrue se démarque par une certaine inadéquation par rapport aux règles du code mais apporte une touche d’humour contribuant à la caricature des hommes aux katanas. Une idylle amoureuse entre le disciple Katsushiro et une jeune paysanne ne fait que renforcer la cohésion des communautés. Kurosawa ne donne pas une large place aux personnages féminins, surtout dans ses premiers films. C’est encore le cas, avec cette femme aux allures de garçon. Les scènes où ils apparaissent tous deux dans une forêt remplie de fleurs, sont imprégnées d’un certain romantisme. L’aspect floral caractérise l’attirance de Kurosawa pour la nature, qu’il intègre parfaitement dans le décor. Les distinctions sociales sont donc inexistantes. Les groupes sont traités d’égal à égal. La valorisation du travail agricole est montrée via quelques scènes et efface les sentiments d’infériorité et de supériorité.  

Après ce premier segment, aux aspects informatifs et introductifs, en vient un second, flamboyant et spectaculaire. Plus rythmé, celui-ci multiplie les scènes époustouflantes de précision. Tranchant nettement avec le penchant contemplatif du reste du film, c’est l’occasion pour le cinéaste de faire parler son sens de l’action en proposant une mise en scène méticuleuse. La bataille décisive est filmée étape par étape, ce qui met en évidence les qualités de chacun des combattants, ainsi que l’extrême application dont ils font preuve dans la préparation militaire. Les pertes ennemies sont comptabilisées sur un tableau. Cette dernière partie est un résumé de l’art de la guerre prôné par les rônins, faisant même de ce village une forteresse imprenable. Les séquences d’action sont menées avec dynamisme, et n’ont rien à envier aux productions américaines. Les charges des brigands dévalant la montagne, le retentissement des coups de feu sont des hommages appuyés aux westerns de John Ford, dont Kurosawa est un fervent admirateur. La violence des combats est magnifiée par un noir et blanc sombre mélangé à une atmosphère de pluie et de brouillard. L’héroïsme tient une place centrale dans ce récit, grâce à cet affrontement qui démontre le courage et la bravoure des combattants. C’est sans doute ce qui a plu aux spectateurs occidentaux, habitués à considérer l’image du héros. Le cinéaste brosse un portrait honorifique de ces hommes héroïques qui font également preuve d’une belle humilité en dédiant leurs victoires à ce peuple agricole. La violence revêt une importance particulière, car ancrée dans ces coutumes guerrières. Les hommes transpercés par les sabres tombent au ralenti, donnant une impression de décès, presque en mouvement. Contrairement à cela, le visage d’une femme ennemie qui se réveille en plein brasier se fige, consciente de son funeste destin. Les derniers plans se fixent sur les tombes de fortune, le soleil illuminant leurs armes, leurs morts revêtant une portée symbolique, presque religieuse, à côté d’une oriflamme des samouraïs surplombant la colline. 

Avec Les Sept samouraïs, Kurosawa étale encore une fois son génie pour la mise en scène et la technique. Fidèle à ses fondamentaux, il parsème son œuvre de procédés filmiques dont il est coutumier. En effet, une diversité au niveau des plans est observée, avec des personnages filmés de face, de profil, et une utilisation des plans larges ou rapprochés. Les raccords, dans l’axe ou dans le mouvement, permettent d’avoir une bonne fragmentation de l’action. Notons aussi l’excellente composition des prises, avec une importance donnée à ce qui figure en arrière-plan. La preuve avec cette scène marquante où une femme tenant son bébé se trouve devant un moulin à eau en feu. 

Avec ce film, le réalisateur s’est fait un nom sur la scène internationale, éveillant les consciences sur ces hommes armés, représentatifs du pays du Soleil Levant. L’œuvre d’une durée de 3h20 est actuellement programmée dans le cadre d’une rétrospective Kurosawa à la Cinémathèque française. 

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RÉALISATEUR :  Akira Kurosawa
NATIONALITÉ : Japonaise
AVEC : Toshiro Mifune, Takashi Shimura
GENRE : Historique
DURÉE : 3h20
DISTRIBUTEUR : 
SORTIE LE