Après un documentaire remarqué sur le peintre flamand Jérôme Bosch (Le Mystère Jérôme Bosch, 2016), le cinéaste espagnol José Luis Lopez-Linares s’intéresse cette fois-ci à l’œuvre de Francisco de Goya, mais par un biais original : le regard de Jean-Claude Carrière, célèbre écrivain et scénariste français, décédé en février 2021.
Amoureux des arts et fin connaisseur de l’artiste espagnol, Jean-Claude Carrière nous guide dans son œuvre incomparable. Pour en percer le mystère, il accomplit un dernier voyage en Espagne qui le ramène sur les traces du peintre.
Ce qui frappe d’emblée le spectateur c’est l’érudition de Jean-Claude Carrière, ses connaissances encyclopédiques et le plaisir que procure cette visite guidée d’une œuvre majeure.
Ce qui frappe d’emblée le spectateur c’est l’érudition de Jean-Claude Carrière, ses connaissances encyclopédiques et le plaisir que procure cette visite guidée d’une œuvre majeure. Tout comme la résonance qu’elle possède avec celle d’autres artistes et avec notre époque. Le suivre dans les musées parmi lesquels celui du Prado et sur les lieux où vécut l’artiste nous permet de (re)découvrir des tableaux, des dessins, des lithographies ou des gravures magnifiques et indispensables. Le documentariste sait en restituer toute la beauté, mais également toute la complexité et l’on ressort de la projection littéralement fasciné. C’est le cas notamment lors de l’évocation de la face sombre et torturée du peintre, à travers sa série d’œuvres intitulée « Peintures noires », qui occupent une place à part dans le film : « Notre démarche a consisté à essayer de creuser un trou dans Les peintures noires de Goya pour voir ce qui se cachait derrière. » Il est vrai que le peintre espagnol a livré des toiles sombres, à l’image de Saturne dévorant un de ses fils, qu’il a peintes à l’huile directement sur les murs de sa maison près de Madrid, La Quinta del Sordo. À l’âge de 73 ans, après avoir survécu à deux maladies graves, Goya se sentait plus concerné par sa propre mort et désespéré par la guerre civile qui sévissait en Espagne.
Si cet élément constitue le premier intérêt de ce long métrage, la présence de Carrière en constitue indubitablement un atout supplémentaire.
Si cet élément constitue le premier intérêt de ce long métrage, la présence de Carrière en constitue indubitablement un atout supplémentaire. En premier lieu, parce qu’il commente avec passion et pertinence les nombreuses productions du peintre, en expliquant le rapport intime qui le lie à lui, tout en démontrant comment son parcours de scénariste, réalisateur et écrivain fut constamment nourri de l’influence de Goya. Puis, dans un deuxième temps, parce qu’il constitue une passerelle avec un autre génie issu d’un art différent, l’immense Luis Buñuel, abondamment cité tout au long du documentaire, et dont il fut le complice en travaillant sur de très nombreux longs métrages. En effet, ce dernier était admiratif de l’artiste aragonais, avec qui il partageait une origine géographique commune. Autre point commun : Buñuel et Goya ont fini leurs vies atteints de surdité. Ce qui donne une idée du rapport au monde, empreint de souffrance, de l’auteur du Tres de Mayo.
Les contributions de Carlos Saura ou Julian Schnabel soulignent le rapport intime entre le travail de Goya et le cinéma. Il est intéressant de noter d’ailleurs que Jean-Claude Carrière fut le scénariste d’un film de Milos Forman, Les Fantômes de Goya, sorti en 2006 au cinéma, avec Stellan Skarsgard dans le rôle de l’artiste.
C’est aussi cela qui rend si émouvant et si beau ce projet. L’ombre de Goya, c’est aussi celle de Carrière. Les deux finissent par se confondre. La boucle semble être ainsi bouclée.
Ainsi, si L’Ombre de Goya apparaît comme une métaphore artistique, dans laquelle le thème de la mort est présent, il est également un voyage, un périple ultime, une tournée d’adieu en quelque sorte : Jean-Claude Carrière, âgé de 89 ans, participa ici à son dernier tournage (devant la caméra mais aussi au niveau de l’écriture). Sa mort, comme l’avoue le cinéaste, eut un impact sur la structure et le montage du film. C’est aussi cela qui rend si émouvant et si beau ce projet. L’ombre de Goya, c’est aussi celle de Carrière. Les deux finissent par se confondre. La boucle semble être ainsi bouclée.
Pour finir, laissons la parole à Jean-Claude Carrière sur son peintre de prédilection, dont il souligne toute la singularité : « Ce qui me frappe d’abord chez Goya c’est sa solitude. Il est un peintre seul. Il est là, entre deux époques, seul, au moment où la Révolution française bouleverse à jamais l’ordre des choses. Entre l’ancien monde et le nouveau, entre la servitude et la liberté. Au croisement des temps. »
RÉALISATEUR : José Luis Lopez-Linares NATIONALITÉ : France, Espagne, Portugal AVEC : Jean-Claude Carrière, Carlos Saura, Julian Schnabel GENRE : Documentaire DURÉE : 1h30 DISTRIBUTEUR : Épicentre Films SORTIE LE 21 septembre 2022