Rencontrer Virginie Efira et Rebecca Zlotowski, c’est observer un tandem actrice-réalisatrice qui s’est manifestement trouvé, non pas des jumelles à la manière des Demoiselles de Rochefort mais des personnes extrêmement différentes en apparence et pourtant complémentaires. Une brune, une blonde, dans le style de Mulholland Drive, toutes les deux très loquaces et charmeuses, sans pour autant être dans le challenge de la séduction concurrentielle. Dans l’exercice de promotion du nouveau film de Rebecca Zlotowski, Les Enfants des autres, elles s’avèrent toutes les deux spontanées, distillant anecdotes, rires et bonne humeur partagée.
Pour Rebecca Zlotowski, son film Les Enfants des autres peut servir à montrer la richesse insoupçonnée de la vie d’une femme qui peut passer d’une seconde à l’autre, de mère, fille, belle-mère, amante, etc. Après avoir lu le scénario qui l’a très émue, Virginie Efira a considéré que Rebecca avait réussi à faire un film sur ce qu’elle n’arrivait pas à nommer ou définir. Ce qui est passionnant pour elle, c’est que Les Enfants des autres s’avère un film finalement politique et engagé (la déclaration de Rachel pour défendre un de ses élèves lors d’un conseil de classe, déclaration en grande partie improvisée par l’actrice, ce que révèle Rebecca Zlotowski) alors qu’il ne l’est pas au départ. De même, ce film se révèle finalement féministe mais sans l’être par postulat. En effet, pour Rebecca Zlotowski, il s’agissait de se montrer bienveillante, empathique et compréhensive à l’égard des hommes, et non agressive, y compris envers leurs moments de lâcheté devant l’annonce de la rupture. L’ objectif consistait surtout pour Rebecca Zlotowski de réussir un portrait de femme, délivré des injonctions, dégagé des stéréotypes, comme dans les films de Sautet qu’elle affectionne (César et Rosalie ou Une Histoire simple dont l’esthétique l’a inspirée, en particulier pour les scènes où les personnages sortent d’un cinéma) . Elle souhaitait regarder et traiter avec une immense loyauté le personnage de Rachel.
Rebecca et Virginie se connaissent depuis longtemps. La réalisatrice était attirée par Virginie, sa démarche par rapport au féminin, mais n’était pas encore prête pour l’engager lors des années antérieures car elle n’était pas préparée à ce que Virginie pouvait lui renvoyer. De son côté, Virginie confesse son admiration pour Belle Epine, le premier film de Rebecca, qui avait « créé une émotion sans savoir par quels conduits ça passait ». Depuis elle a vu tous ses films et se sentait en accord avec sa vision du monde. Elles se croisaient parfois car elles ont quelques amis en commun mais Virginie n’osait pas forcément proposer ses services d’actrice. Une fois que Rebecca lui a proposé le role, Virginie a pu constater une osmose, une harmonie, une rapidité sur le tournage où les acteurs étaient mis en confiance et se sentaient en liberté, autorisés à improviser et à prendre des initiatives.
Rebecca Zlotowski a surtout fait ce film par rapport à la représentation des belles-mères. D’après elle, cette représentation est souvent caricaturale, cf. Frangins malgré eux (Step brothers) de Adam McKay (The Big short, Vice) avec Will Ferrell, que pourtant elle adore. Le sujet des beaux-parents est assez peu traité au cinéma, en tout cas de manière positive. Une scène de Rois et Reine d’Arnaud Desplechin lui est particulièrement chère dans cette optique, assez rare et unique dans le cinéma français, la séquence finale où Mathieu Amalric s’adresse au fils d’Emmanuelle Seigner qui voudrait être adopté par lui. Elle espère que les belles-mères s’exprimeront davantage après avoir vu le film, sur leur rôle ambigu et délicat. Dans le film, il existe une scène qu’elle n’a pas vécue, celle où elle dit à l’enfant qu’ils ne partiront plus en vacances, qu’ils ne se retrouveront plus, une scène très émouvante. Elle a réparé un manque en créant cette séquence.
Pour Les Enfants des autres, Rebecca Zlotowski s’est à l’évidence beaucoup inspirée de sa vie personnelle. Comme elle l’indique, « plus on est précis, plus on est local ». Au départ, elle voulait adapter un livre de Romain Gary, Au-delà de cette limite, votre ticket n’est plus valable, un ouvrage sur l’impuissance des hommes. Puis elle s’est aperçue que cela parlait d’elle, à quarante ans, elle avait l’impression de se trouver à la fin de sa vie. Donc elle a fini par partir de sa situation personnelle, d’une femme sans enfant, amenée à côtoyer de très près l’enfant de son compagnon. Rebecca Zlotowski précise : « j’ai écrit le scénario de manière que l’enfant soit le sujet du film mais qu’il ne repose pas sur elle, la petite fille. J’ai connu plusieurs configurations de belle-mère et cette configuration est conditionnée par l’autorisation des parents ».
D’après Virginie Efira, le film de Rebecca touche à quelque chose de très personnel et d’universel : l’idée du lien, d’une famille qu’on se crée, du rejet, du fait de se faire rejeter, de ce qui reste et de ce qui disparaît….Elle y a été très sensible car elle a beaucoup pensé à une femme qui l’a vue arriver dans son couple fracassé et a recommandé avec la plus grande des générosités à ses enfants de l’accueillir. Elle a participé au film en pensant que c’était pour elle un hommage à cette femme. Virginie Efira a apprécié en jouant Rachel d’interpréter pour une fois quelqu’un de bon, ne souffrant pas de dysfonctionnements internes. Ce qui tourmente Rachel ne provient pas d’elle, mais de ses interactions avec les autres. A ce titre, la scène où elle serre sa soeur et son bébé entre ses bras a été incroyablement fort, intense et profond mais terriblement douloureux.
De son côté, Rebecca Zlotowski indique l’étendue de ses connaissances cinéphiliques en étant capable de raconter par le menu certains films (Une histoire simple, Une autre femme). Ce qu’elle admire chez Sautet, c’est l’apparente banalité de ses sujets, le fait que tous puissent s’y retrouver et le courage qu’il lui a fallu pour s’y confronter. Elle s’est ainsi un peu inspirée de sa démarche pour Les Enfants des autres. Interrogée sur la participation de Frederick Wiseman, l’immense documentariste américain, elle raconte qu’elle l’a rencontré dans un ascenseur lors d’une Mostra de Venise. Ils ont sympathisé, ri ensemble. Elle a appris par la suite qu’il vivait à Paris et jouait parfois dans des films. Elle s’est dit « pourquoi pas le mien? » Elle lui a donc confié le rôle d’un gynécologue qu’elle pensait d’abord offrir à une femme, la concevant à l’origine comme une ex soixante-huitarde. Elle ne regrette absolument pas son choix, Frederick Wiseman ayant donné une touche indispensable de comédie au rôle et ainsi au film. Au passage, elle tacle Godard qui, sur la fin de sa vie, ne s’intéressait plus aux autres, tandis que Wiseman (homme sage, en anglais) est toujours mû par une intense curiosité à l’égard de ses contemporains. Un autre cinéaste auquel elle avait envie de rendre hommage en cette journée de deuil godardien, c’est Woody Allen. Une autre femme est sans doute un de ses films préférés du metteur en scène américain, racontant l’histoire d’une prof de philo qui regrette de ne pas avoir eu d’enfant. Pourtant, en dépit de cette influence, elle ne considère pas du tout Les Enfants des autres comme un film sur une femme qui n’avait pas d’enfant et qui le regrettait. Elle aurait pu utiliser Une autre femme comme extrait de film dans la scène de cours du début du film mais à la place, pour des raisons de droits, elle s’est rabattu sur Les Liaisons dangereuses de Vadim avec Jeanne Moreau et Gérard Phillipe.
Virginie Efira fait remarquer à Rebecca que son expérience de professeur a dû être très importante pour elle, puisqu’elle en a fait la profession de Rachel. Ce qui fait avouer à Rebecca Zlotowski : « j’ai tellement adoré que j’ai préféré démissionner. J’adorais ça, le lien avec les élèves, la transmission. Et puis je me suis imaginée dix ans plus tard….On sort de l’école et on retourne à l’école. Je ne voyais pas d’issue favorable ».
Cette expérience l’a malgré tout inspirée pour la conclusion de son film. Selon elle, avant la toute dernière séquence où Virginie Efira marche seule dans les rues de Paris, réconciliée avec elle-même, inscrivant le décor parisien comme un véritable personnage du film, la vraie conclusion se passe dans la séquence du café où elle rencontre l’adolescent difficile devenu chef de rang. Comme Rebecca Zlotowski le dit elle-même, «un cycle se ferme. Mon premier film racontait qu’on n’oublie jamais sa mère spontanément, celui-là raconte que quelqu’un ne vous oubliera jamais, même lorsqu’on n’est pas mère et j’avais besoin de le dire ». Virginie Efira aime aussi beaucoup cette scène, Elle l’a interprétée, les cheveux relâchés, complètement au naturel. Pour Rebecca Zlotowski, cette pénultième séquence représente une projection, un peu comme si Leila, la petite fille de son ex-compagnon, disait quelques années plus tard à Rachel : « je ne vous ai pas oubliée, vous m’avez marquée pour toujours ». Comme vieillir les personnages dans le dernier quart d’heure du film aurait été beaucoup trop brutal comme ellipse temporelle, elle a transféré le message de Leila sur le personnage de Dylan, l’adolescent devenu chef de rang, Le message est plus crédible et cela passe mieux ainsi, de manière plus élégante et subtile. Elégance, subtilité, émotion. On ne peut que donner raison à Rebecca Zlotowski.
Propos recueillis par David Speranski en septembre 2022 à Paris.