Westworld saison 4 : en route vers le Sublime

Avouons-le, nombreux sont ceux qui ont abandonné Westworld en milieu de saison 2 ou lors d’une saison 3 en demi-teintes qui comportait pourtant de beaux moments et que l’on redécouvrira peut-être. Les raisons imputables à cette progressive désaffection sont sans doute une complexification accrue des intrigues scénaristiques, caractéristique commune à de nombreuses séries produites par J.J. Abrams (Alias, Lost, Person of Interest). le départ du parc d’attractions de l’ensemble des protagonistes à la fin de la saison 2, et peut-être surtout la transformation du personnage de la pure et naïve Dolores en sa part obscure (Wyatt), l’excellente Evan Rachel Wood, en dépit de tout son talent, étant moins douée pour exprimer la noirceur et l’agressivité que la douceur et la rêverie. Contre toute attente, tous ceux qui ont abandonné Westworld en cours de route vont se voir obligés de revenir rapidement au bercail, tant la qualité de cette saison 4 s’avère aveuglante, les showrunners, Jonathan Nolan et Lisa Joy, ayant certainement appris de quelques errements, et y ayant brillamment remédié.

Westworld n’a jamais été simple et le revendiquait d’ailleurs dès le départ : dans la saison 1, les showrunners se sont évertués à cacher pendant toute la saison l’existence de deux timelines parallèles, ayant trente ans d’écart ; la saison 2, au contraire, a consisté à expliquer comment toute l’action allait aboutir au résultat d’un flash-forward révélé à la fin de son premier épisode. Jonathan Nolan et Lisa Joy s’adressent à l’intelligence de leurs spectateurs, ce qui peut parfois agacer, mais s’avère en définitive payant. Dans Stranger things, aucun spectateur ne va se plaindre car il n’aura pas compris les tenants et aboutissants de l’intrigue qui sont suffisamment clairs pour ne pas nécessiter d’explication. Idem dans Succession où l’intrigue, aussi machiavélique et perverse soit-elle, ne prend jamais des détours inattendus et incompréhensibles. Au contraire, dans Westworld, les personnages ne répètent pas trois fois la même explication ; il faut pouvoir la capter du premier coup. Le spectateur est souvent perdu, et doit, c’est le plaisir du jeu, reconstituer seul le puzzle mis en place par les scénaristes, ce qui était souvent le cas dans Lost à un degré néanmoins nettement moindre.

Depuis Twin Peaks, aucune autre série que Westworld ne s’est approchée aussi près de la douceur et la violence impalpables des rêves.

Pour apprécier à sa juste mesure cette magnifique saison 4, même sans avoir besoin de binge-watcher les deux saisons précédentes, les saisons 2 et 3 souvent décriées, il suffit d’avoir en tête trois ou quatre informations fondamentales {ATTENTION SPOILERS] : 1) Ce que Charlotte Hale (Tessa Thompson) et William, l’Homme en noir (Ed Harris) convoitent, car c’est la seule chose qu’ils ne possèdent pas, c’est la clé vers l’entrée du Sublime, sorte de domaine virtuel où tous les mondes sont possibles et peuvent être choisis, et où les hôtes peuvent être téléchargés. Seul Bernard (Jeffrey Wright), l’hôte dépositaire de la conscience d’Arnold, le cofondateur de Westworld, possède cette clé à travers la mallette dont il a hérité à la fin de la saison 3. Il s’en servira d’ailleurs dans le dernier épisode, considérant que le Sublime est la seule issue pour éviter l’extinction des deux formes de vie intelligente, celle des hôtes (les androïdes) et celle des humains. Comme il l’énonce, il a étudié tous les scénarios et la plupart mènent à l’apocalypse et la fin de toute civilisation.

2) Où est donc passée Dolores? Comme indiqué plus haut, l’un des défauts de Westworld lors des saisons 2 et 3, c’est la transformation de Dolores en méchante, métamorphose qui n’était pas rendue crédible par l’apparence toujours aussi angélique d’Evan Rachel Wood. Les showrunners s’en sont aperçus sans nul doute, ce qui les a conduits à la fin de la saison 2 à transférer la perle de Dolores dans le corps de Charlotte Hale, Tessa Thompson étant plus à-même d’exprimer la violence et l’esprit de revanche de l’androïde, souhaitant dominer les humains et instaurer le règne des hôtes. Néanmoins, il a fallu attendre la véritable disparition physique du personnage de Dolores à la fin de la saison 3 pour que la copie de Dolores incarnée en Charlotte Hale prenne magistralement le devant de la scène, devenant par son arc narratif l’un des personnages les plus passionnants de la saison. Par conséquent, la part négative de Dolores étant représentée par Tessa Thompson, que devient Evan Rachel Wood, pourtant toujours au générique? C’est l’un des grands et beaux mystères de cette saison, dont nous parlerons plus tard.

Westworld est ainsi, contre toute attente, revenu à son meilleur niveau, en réussissant avec cette saison 4, l’une de ses meilleures saisons. voire peut-être sa meilleure. Car la série atteint à de nombreuses reprises des moments suspendus de grâce et de poésie qui n’appartiennent qu’à elle

3) Dans cette saison 4, le monde est enfin dominé par les robots. Charlotte (Dolores) Hale a mis en place son système de domination via l’invasion du corps des humains par des mouches dans des scènes qui évoquent fortement X-Files. Elle est secondée par l’intrigante Clémentine et surtout par William qui, en parfait homme de main, supprime les politiciens afin qu’ils soient remplacés par leurs clones, et se délecte à éliminer les humains rebelles dénommés « singularités ». Par conséquent, dans les personnages principaux, hormis ces rebelles menés par Frankie (Aurora Perrineau, la merveilleuse révélation de la saison, qu’on devrait revoir souvent, ici ou ailleurs), la fille de Caleb Nichols, et Caleb (excellent Aaron Paul) lui-même mais plus pour très longtemps, devant mourir au cours de la saison, tous les autres sont des hôtes : Charlotte Hale (copie de la véritable Charlotte, à qui on a inséré la perle de Dolores), Maeve (hôte depuis le début, mourant au moins une fois par saison pour ressusciter ensuite), Bernard (hôte, copie de Arnold, le cofondateur du parc), William (clone de l’Homme en noir, humain toujours emprisonné dans une cage dans les réserves du parc), Stubbs (hôte en apparence invulnérable et invincible) et donc Caleb (remplacé dans l’épisode 6 Fidèlité par une copie n° 278 dont le corps souffre de dysfonctionnements par rejet de l’expérience de greffe). Les humains n’existent donc presque plus ; ils sont relégués au fin fond du désert ou archi-dominés par le système de surveillance de Charlotte.

Si vous avez intégré ces trois éléments, vous pouvez alors vous lancer dans la saison 4 de Westworld et en retirer un bénéfice maximum. Tout d’abord, narrativement : la saison 4 est peut-être la plus simple et limpide de toutes les saisons de la série car elle se déroule sept ans après les émeutes de la saison 3 et se divise en trois principaux arcs narratifs, celui de Maeve, Bernard, Caleb et de tous les résistants qui essaient de gagner la guerre face à la dictature instaurée dans un monde trop parfait, celui de Charlotte, William et Clementine qui tentent de maintenir l’étau sous lequel se trouve le monde des humains, et enfin celui de Christina, le personnage interprété par Evan Rachel Wood, dont on ne sait au départ si elle est une simple copie amnésique de Dolores. [ATTENTION SPOILERS] Au début, présentée comme une scénariste de jeux vidéos travaillant à Olympiad Entertainment, Christina est en fait un programme qui gère en coulisses le monde ainsi que les personnes qui s’y trouvent, en écrivant leur scénario. Elle possède l’apparence de Dolores et a par moments des réminiscences de sa vie, ainsi que celle de Charlotte Hale. On découvrira que tous ses contacts, – Teddy, son rendez-vous amoureux, Maya, sa colocataire hantée par des cauchemars, Peter, son harceleur qui finira par se suicider, – sont tous des émanations d’elle-même et qu’elle invente tous ses contacts pour représenter ses angoisses. Nolan et Joy reprennent ici le procédé utilisé dans une oeuvre fortement inspirée par Philip K. Dick, Ouvre les yeux, d’Alejandro Aménabar. Le personnage de Christina permet ainsi à Evan Rachel Wood de réinventer en quelque sorte Dolores, la Dolores d’origine, inquiète mais non vindicative, de réendosser certaines de ses postures mythiques, dont celle iconique de Dolores se réveillant, filmée en plongée, à la fois radieuse et mélancolique. La saison 4 permet donc de préparer progressivement le retour à la saison 1, via ce personnage, car Christina, grâce à Bernard, se verra remettre le sort des hôtes et des humains, en les soumettant à un dernier test qui se déroulera à l’intérieur du Sublime, dans le décor du parc de Westworld. Du point de vue dramatique, tous les arcs narratifs fonctionnent parfaitement, excepté peut-être quelques longueurs dans l’épisode 2, Ames solitaires. De plus, Westworld ne serait pas Westworld, si dans l’épisode 3, Les Années Folles, ne prenait pas place un dispositif de timelines parallèles à trente ans d’écart. Mais alors que ce procédé semblait un peu forcé dans la saison 1, il paraît ici couler de source, le spectateur faisant intuitivement le lien entre Frankie la petite fille et C. l’adulte devenue résistante.

On croise très fort les doigts pour que HBO/Warner, à la différence de Netflix, mise sur la qualité comme ils l’ont fait pour The Wire, se rende compte du potentiel artistique et commercial que représenterait un retour à l’univers du western dans la saison 5 et puisse renouveler une dernière fois Westworld, afin de permettre à Jonathan Nolan et Lisa Joy d’aller jusqu’au bout de leur projet

Esthétiquement, Westworld stupéfie par la beauté inouïe de sa photographie qui enchaîne les plans parfaits à chaque minute, avec une qualité d’image dépassant ce qui peut parfois se voir au cinéma. Soyons francs, les plus beaux plans issus d’une série, capables de vous couper le souffle, ne se trouvent pas cette année dans Succession (trop naturaliste) ou Stranger Things (trop numérique) mais dans Westworld qui offre au plaisir des yeux la splendeur d’un monde lumineux, diaphane et faussement transparent. On se souviendra aussi longtemps de plans-chocs comme le visage robotique du clone de Frankie qui s’ouvre, l’expression inoubliable entre regret et impuissance de Charlotte Hale devant son échec ou la dernière promenade de Christina dans le monde réel. Musicalement, Westworld a également marqué grâce à la bande originale somptueuse de Ramin Djawadi et l’utilisation judicieuse de morceaux réarrangés ou non, dont le texte colle merveilleusement à l’histoire, Videogames de Lana Del Rey, The Man who sold the world dans la version originelle de David Bowie ou encore Pyramid Song de Radiohead. Philosophiquement aussi, Westworld se situe très au-dessus des préoccupations essentiellement narratives des autres séries, où il s’agit de gérer des personnages. Peu s’interrogent autant sur les notions de liberté, de servitude, de résistance à l’oppression, d’humanité et d’identité. Westworld est ainsi, contre toute attente, revenu à son meilleur niveau, en réussissant de façon magistrale avec cette saison 4, l’une de ses meilleures saisons. voire peut-être sa meilleure. Car la série atteint à de nombreuses reprises des moments suspendus de grâce et de poésie qui n’appartiennent qu’à elle : la séquence où Christina essaie de se noyer dans sa baignoire et ressuscite, le moment où Charlotte Hale (Tessa Thompson, déchirante) s’aperçoit qu’elle a perdu et décide de se dépouiller de ses attributs, toutes les scènes où Christina (admirable Evan Rachel Wood) flotte entre rêve et réalité, en particulier lors d’une fin anthologique où elle rejoint le Sublime. Depuis Twin Peaks, aucune autre série que Westworld ne s’est approchée aussi près de la douceur et la violence impalpables des rêves.

A la fin de la saison, comme souvent dans des productions Abrams (Lost, Person of Interest), le spectateur se retrouve face à deux options quasiment aussi mauvaises l’une que l’autre : la dictature absolue (Charlotte souhaitant enfermer les humains) ou l’anarchisme absolu (William décidant de rendre les humains violents entre eux et contre les hôtes) instaurant le chaos. Le spectateur échappe ainsi à un schéma manichéen qui verrait s’affronter le Bien et le Mal, mais doit dégager une troisième voie intermédiaire, en l’occurrence, le départ vers le Sublime qui permettrait de rebattre les cartes et de donner une nouvelle (dernière) chance à tous les personnages : Dolores y retrouvera-t-elle Teddy? Maeve, pourra-t-elle y vivre avec sa fille, comme Bernard le lui a promis? Charlotte, se repentira-t-elle de ses méfaits? Clementine, aura-t-elle droit à une intrigue indépendante? William, connaîtra-t-il enfin une forme de rédemption? Il existe donc un ultime test auquel Christina décide de soumettre hôtes et humains confondus, un jeu dangereux qui permettra de savoir s’ils méritent la survie ou l’extinction. La fin de la saison 4 bouclerait de manière relativement satisfaisante l’ensemble de la série (elle a été conçue pour prévenir une éventuelle annulation) mais on croise très fort les doigts pour que HBO/Warner, à la différence de Netflix, mise sur la qualité comme ils l’ont fait pour The Wire, se rende compte du potentiel artistique et commercial que représenterait un retour à l’univers du western dans la saison 5 et puisse renouveler une dernière fois Westworld, afin de permettre à Jonathan Nolan et Lisa Joy d’aller jusqu’au bout de leur projet et, qui sait, d’atteindre le Sublime.

 » il y a de la violence et du chaos dans chaque recoin, si tu t’attardes dessus, c’est tout ce que tu verras, mais si tu prends le temps, tu verras une paix immense, je vois la beauté de ce monde. »

5

SHOWRUNNER : Jonathan Nolan et Lisa Joy 
NATIONALITÉ : américaine 
AVEC : Evan Rachel Wood, Thandiwe Newton, Jeffrey Wright, Tessa Thompson, Aaron Paul 
GENRE : Science-fiction 
DURÉE : 55 mn X 8 épisodes 
DISTRIBUTEUR : HBO/ Warner 
DIFFUSION depuis le 27 juin 2022