Comme ils l’ont fait dans leurs deux films précédents (Frères de Sang et Storia Di Vacanze), les frères D’Innocenzo traitent dans America Latina d’histoires de famille, du sentiment d’appartenance et du lien de filiation.
America Latina est l’histoire d’un dentiste doux et chaleureux, Massimo Sisti, ayant à son actif tout ce qui semble nécessaire à la vie rêvée : une splendide maison dans la banlieue de Latina, sur la côte du Latium, une famille qui le comble composée de sa femme qui l’aime tendrement et de leurs deux filles sérieuses et aimantes. Quand on n’a pas besoin de choisir entre l’amour et l’argent, il ne semble pas y avoir d’obstacle au bonheur. Pourtant, un évènement va venir bouleverser cette grande certitude. Alors que Massimo descend les escaliers menant à sa cave, il y trouve une fille bâillonnée attachée à un pilier. Depuis combien de temps est-elle là ? Pourquoi ? Et surtout, qui est-elle ? Tant de questions auxquelles Massimo Sisti n’a à ce moment aucun élément de réponse.
Ainsi, America Latina évoque l’héritage psychologique et notamment la transmission de père en fils d’un manque de confiance exponentiel qui conduira le dentiste à la paranoïa.
Comme à leur habitude, les frères D’Innocenzo réalisent un film dérangeant, et cela apparaît très rapidement dans le scenario. Si on s’attend à ce que Massimo s’empresse de libérer la fille découverte et de prévenir sa famille et la police, il n’en sera rien. Il s’enferme dans une bulle spéculative où il accuse son meilleur et unique ami, mais aussi lui-même. Ainsi, la découverte de la cave fait basculer le film dans un récit étrange dans lequel le personnage perd toute logique. Craignant sa propre amnésie, il s’acharne à tenter de répertorier les jours dont il ne se souvient pas. La figure de l’époux et père idéal est vite remplacée par celle d’un psychopathe dont on comprend en partie la névrose par la figure de son père. Ainsi, America Latina évoque l’héritage psychologique et notamment la transmission de père en fils d’un manque de confiance exponentiel qui conduira le dentiste à la paranoïa. Le père aimant voit dans les gestes tendres de ses filles des signes de trahison : elles veulent lui cacher une vérité qu’il ne sait plus où chercher. Amour et argent ne font malheureusement pas toujours le bonheur, quand bien même les deux se cumulent et qu’il n’est pas nécessaire de choisir. C’est la morale d’America Latina, portrait d’un homme névrosé dont les souffrances psychologiques internes ne sont pas compensées par tout l’amour que lui porte ses proches. En d’autres termes sans bien-être psychologique et confiance en soi et en autrui, rien, ni même ce qu’il y a de plus fort, ne pourra venir apaiser une vie. Un film dense et fort sur la vie et la paix intérieure, c’est en quelques mots le contenu de America Latina.
On se doit de reconnaitre la technicité du film qui a été réalisé comme une construction intérieure purement mentale, questionnant la frontière entre le rationnel et le surréel, la réalité et le rêve. C’est avec prouesse que les frères créent dans un décor presque minimaliste une atmosphère angoissante. Les plans sortent de l’ordinaire et rendent compte de l’imagination débordante des réalisateurs qui trouvent dans la réalisation cinématographique un véritable terrain de jeux et d’expérimentations. On peut les remercier en outre de rester relativement vagues à certains moments, laissant libre cours à l’imagination du spectateur quant à son positionnement face à Massimo. En effet, on ne lui impose pas de ressentir une émotion particulière à son égard, et alors que certains peuvent être dégoûtés par cet être torturé, d’autres peuvent éprouver naturellement à son égard tendresse et empathie.
America Latina est donc un film exposant une morale. La volonté des réalisateurs est claire : au-delà d’un terrain de jeu leur permettant d’exprimer leur propre folie, ils exposent et déconstruisent des idées reçues sur le bonheur laissant transparaitre la place trop souvent négligée du psychique sur le déroulement d’une vie.
RÉALISATEUR : Damiano D'Innocenzo, Fabio D'Innocenzo NATIONALITÉ : Italien AVEC : Elio Germano, Massimo Wertmüller, Maurizio Lastrico GENRE : Romance, Thriller DURÉE : 1h30 DISTRIBUTEUR : Le Pacte SORTIE LE 17 août 2022