Alors que son premier film, Rocks in my Pockets, n’est jamais sorti en France, la réalisatrice lettonne Signe Baumane revient cette année à Annecy, en Compétition Officielle, pour son second long-métrage, My Love Affair With Marriage.
Dans ce dernier, la cinéaste dessine la vie de Zelma, jeune fille grandissant dans une Union Soviétique patriarcale à souhait, lui vendant une vision de l’amour à laquelle elle a du mal à adhérer.
Avec son premier film, Signe Baumane exorcisait les démons des femmes de sa famille qui avaient succombé à la pression masculine et sociétale. La transmission d’un traumatisme qui traverse les générations et transcende le temps.
Ici, dans ce film semi-autobiographique, la cinéaste semble ne pas en avoir fini avec les diktats misogynes qu’on lui a imposé toute son enfance, et leurs conséquences sur les jeunes filles. Et une nouvelle fois, Baumane ne manque pas d’imagination et d’inventivité pour mettre en scène son propos. Tout d’abord, elle choisit de constamment expliquer par la science les réactions de son héroïne. C’est avec une petite créature verte, s’improvisant professeur en sciences lors d’apartés ponctuant les différentes scènes, que la réalisatrice s’arme du jargon scientifique nécessaire pour analyser ce qui se passe dans le corps et la tête de Zelma lorsqu’elle fait face à la misogynie des autres et à la sienne, au sexisme institutionnel et à ses limites. Ainsi, la réalisatrice apporte une contradiction toute trouvée à l’une des remarques sexistes les plus communes : les garçons réfléchissent avec la tête et la raison, tandis que les filles, elles, pensent avec le cœur et sont soumises à leurs émotions. Ici, Baumane rationalise sans cesse les actions de Zelma, expliquant que les émotions, aussi brutes soient-elles, obéissent à des cheminements psychiques bien plus profonds qu’une simple réaction irréfléchie. Dans un monde où le patriarcat est partout, le voir s’immiscer en nous et contrôler nos pensées est tout ce qu’il y a de plus évident. Alors, avec My Love Affair With Marriage, la cinéaste fait de cette petite fille un noyau d’universalité absolu, décrivant les étapes, allant de l’endoctrinement dès le plus jeune âge, à la déconstruction totale du modèle de pensée qui nous est vendu depuis toujours. À mesure que la jeune fille explore l’amour, le sexe, la vie de couple et la vie en général, elle tentera de réconcilier ses convictions personnelles aux idées que le monde n’a cessé de lui marteler.
Une œuvre atypique et réjouissante, à la fois comédie musicale dépressive et coming of age intelligent
Autre idée amusante qui donne au film toute sa drôlerie : trois créatures, à mi-chemin entre des nonnes et des harpies, créditées au générique comme des « mythology sirens », ponctuent le film de leurs musiques aux textes aussi déprimants qu’amusants. Ces trois femmes, dont le rôle pourrait s’apparenter à celui des muses d’Hercules, apparaissent de temps à autre afin de chanter les « exploits » de Zelma, et la rappeler à l’ordre sur son rôle de femme. Elles représentent la voix intérieure de la société, et plus particulièrement de celle d’une Union Soviétique en berne, dont le système menace de s’écrouler à tout moment.
Si le procédé de mise en scène, assez redondant, finit par s’essouffler doucement, My Love Affair With Marriage reste une œuvre atypique et réjouissante, à la fois comédie musicale dépressive et coming of age intelligent, aux dessins Plymptonien (Bill Plympton, réalisateur d’animation avec qui elle a travaillé par le passé) tout bonnement jouissif qui fourmille d’idée. Ou l’assurance d’assister à l’émergence d’une réalisatrice à la voix particulière et nécessaire.
RÉALISATEUR : Signe Baumane NATIONALITÉ : Lettonie GENRE : Animation, Drame, Romance DURÉE : 1h48