Un an après son magnifique Babi Yar Context, le documentariste ukrainien Sergueï Loznitsa propose une nouvelle œuvre de montage d’images d’archives sur la Seconde Guerre mondiale, projetée au Festival de Cannes en Séance spéciale. Il livre une œuvre impressionnante et bouleversante, tant elle résonne avec une actualité des plus brûlantes.
Loznitsa livre une œuvre impressionnante et bouleversante, tant elle résonne avec une actualité des plus brûlantes.
Inspiré par le texte éponyme de W. G. Sebald (De la destruction comme élément de l’histoire naturelle, 1999), le film évoque les bombardements massifs menés par les Alliés sur les villes allemandes en 1945. Constitué d’images d’archives des deux camps montées remarquablement (le sens naissant ainsi d’associations), sans aucun commentaire ni indications, cette œuvre est structurée en plusieurs parties mais refuse toute approche strictement chronologique : la préparation des bombardements, l’armement des avions, les obus tombant « du ciel » de manière impressionnante et les discours occidentaux pour justifier ces opérations (il est ici question de manipulation des opinions publiques) ; les plans au sol, à l’intérieur des villes dévastées et réduites à néant, dont certains sont difficiles (cadavres d’humains, parmi lesquels de nombreux enfants) ; des vues aériennes des cités ravagées, donnant littéralement le vertige. L’ensemble est fascinant puisque c’est le « spectacle » de la guerre et de ses ravages, la « machine de destruction en général » que filme l’Ukrainien.
Le travail sur le son mérite également d’être souligné. En effet, Loznitsa a conçu son œuvre comme une pièce musicale, avec des crescendos, comme une fugue, en rajoutant des bruitages et des sons d’ambiance. A l’instar du montage et des modifications opérées sur les images, les sons permettent de stimuler les sens et les émotions, renforçant l’aspect immersif voulu par le cinéaste qui entend faire vivre aux spectateurs l’histoire de l’intérieur.
Loznitsa a d’ailleurs déclaré à Cannes que son film était devenu « monstrueusement pertinent dans la guerre que la Russie mène en Ukraine. »
Commencée avant l’agression de l’Ukraine par la Russie, cette histoire naturelle de la destruction apparait comme réellement terrifiante et bouleversante dans la mesure où, pour le spectateur, il est impossible de ne pas penser au conflit actuel face à ces paysages de guerre totale et d’anéantissement. Loznitsa a d’ailleurs déclaré à Cannes que son film était devenu « monstrueusement pertinent dans la guerre que la Russie mène en Ukraine. » Comme pour la Seconde Guerre mondiale, le réalisateur montre le désarroi des populations civiles, le fait qu’elles soient des victimes, indépendamment de toute idéologie, en toute légitimité. Le message véhiculé ici est on ne peut plus clair : comme la Russie en Ukraine depuis le 24 février 2022, les Alliés en 1945 ont délibérément visé les civils.
Comme pour la Seconde Guerre mondiale, le réalisateur montre le désarroi des populations civiles, le fait qu’elles soient des victimes, indépendamment de toute idéologie, en toute légitimité.
En somme, le réalisateur ukrainien signe un grand film documentaire, loin des clichés du genre, sans recours aux voix off souvent envahissantes et tendancieuses. Prolongeant le travail engagé avec son précédent opus, il apparait bien plus efficace que ses fictions qui, pour certaines, avaient eu les honneurs de la compétition cannoise il y a quelques années.
RÉALISATEUR : Sergueï Loznitsa NATIONALITÉ : Ukraine AVEC : Pas d'acteurs / actrices GENRE : Documentaire historique DURÉE : 1h52 DISTRIBUTEUR : Inconnu SORTIE LE : Indéterminée