Davy Chou enchaîne les festivals : le forum de la Berlinale en 2012 pour Le sommeil d’or, puis la section court de la Quinzaine des réalisateurs en 2014, avant d’être en compétition avec Diamond Island à la Semaine de la critique en 2016. Son troisième long-métrage Retour à Séoul fait partie de la sélection Un certain regard de la 75ème édition du Festival.
La question de l’adoption internationale d’enfants nés en Corée du sud est un sujet à la fois complexe et central. Entre 1970 et le début des années 2000, c’est plus de 200 000 enfants coréens qui furent adoptés et répartis dans tout l’Occident. La France fut un des principaux pays d’accueil. Freddie est l’un de ces enfants. Jeune coréenne adoptée en France, elle se retrouve à l’âge de 25 ans pour la première fois depuis sa naissance en Corée par hasard pour un voyage de deux semaines… sauf que dans Retour à Séoul, on ne croit pas aux hasards. La jeune fille va apprendre l’existence de la Hammond lui permettant d’essayer de prendre contact avec ses parents biologiques. Elle se lance alors dans une quête qu’elle n’avait pas prévue.
Elle incarne à elle seule une génération déracinée perdue dans sa propre histoire.
La construction temporelle du film est particulièrement intéressante. Davy Chou sépare le films en séquences temporelles sur une durée totale d’une dizaine d’années. Freddie se retrouvant en Corée souhaite tout voir, tout faire, telle la parfaite touriste. Lorsque commence la recherche imprévue de ses parents biologiques, le choc arrive rapidement. Pour reprendre contact avec leurs parents, les enfants adoptés doivent demander à la Hammond d’envoyer un télégramme aux parents pour informer que leur enfant les recherche. Le père de Freddie accepte sans réfléchir alors que sa mère laisse planer un silence. Ce film retrace avec puissance la réalité du retour des jeunes Coréens abandonnés dans leur pays natal : celle d’un choc. Un choc culturel pour une fille qui se retrouve à table avec son père et ses sœurs avec qui elle ne peut communiquer, faute de parler la même langue et d’avoir les mêmes coutumes. Un choc émotionnel pour une jeune femme se trouvant face à celui qui l’a créée mais surtout abandonnée, face à ses sœurs qui n’ont pas subi le même sort qu’elle, parce que nées quelques années après. Tout cela est incarné dans la figure du père qui témoigne du grand écart entre la culture française et coréenne, de sa volonté d’oublier le passé par honte de ses choix.
Le personnage de Freddie est grandiloquent. Elle incarne la rébellion face à l’abandon par le rejet de son père biologique mais aussi de ses parents adoptifs, comme si en l’adoptant ils avaient participé eux-mêmes à son destin d’adoptée. Elle rejette la culture coréenne en ne respectant pas les codes, notamment les règles de tenue à table. On perçoit une colère grandissante en elle, et surtout un personnage perdu, dans son histoire, son présent, et au final son futur. Car la suite du film n’est qu’enchaînement de chapitres montrant l’évolution de Freddie incapable de choisir entre la France et la Corée, entre sa famille biologique et sa famille adoptive, comme si un choix s’imposait à elle, un choix qu’elle aurait aimé ne pas avoir à faire. Ses emplois, ses relations, tout devient instable, tout se trouve livré à la liberté de la jeune femme qui renverse tout sur un coup de tête et recommence sans cesse à zéro. A travers ce personnage et son comportement face à ce qui pourrait être sa vie, le réalisateur montre les conséquences d’un abandon et d’une adoption sur toute une vie. Constamment, Freddie se trouve face à des choix et ne sait choisir. Constamment, Freddie envoie tout balader et souhaite repartir.
Retour à Séoul est l’histoire d’un personnage qui représente à la perfection ce qu’est un enfant adopté, errant entre deux cultures et en perpétuelle quête d’identité. Avec une analyse au niveau micro et non macro, Davy Chou a su incarner dans une seule personne toute une génération déracinée perdue dans sa propre histoire.
RÉALISATEUR : Davy Chou NATIONALITÉ : Français, Cambodgien AVEC : Park Ji-min (II), Oh Kwang-rok, Guka Han GENRE : Drame DURÉE : 1h59 DISTRIBUTEUR : Les Films du Losange SORTIE LE 25 janvier 2023