Trente ans de carrière déjà pour Cédric Klapisch, trente ans où il se sera imposé comme un cinéaste populaire et unanimiste, instaurant un dialogue au long cours avec l’acteur Romain Duris (du Péril jeune à Paris, en passant par sa trilogie L’Auberge espagnole – Les Poupées russes–Casse-tête chinois). Par le passé, il a également réussi l’un des meilleurs films français de voisinage (Chacun cherche son chat) et une formidable adaptation d’une des pièces du duo Jaoui-Bacri (Un air de famille), ce qui est la preuve d’un certain talent, sinon d’un talent certain. On sent depuis quelques films chez lui la volonté de se renouveler : la problématique du deuil (Paris, Ce qui nous lie), des réseaux sociaux (Deux moi). En corps perpétue ce désir de réinvention en le plaçant en pleine lumière : celui d’une danseuse contrainte de modifier sa vie de fond en comble suite à un accident. Une sorte de manifeste pour la résilience et le changement.
Elise, 26 ans est une grande danseuse classique. Elle se blesse pendant un spectacle et apprend qu’elle ne pourra plus danser. Dès lors sa vie va être bouleversée, Elise va devoir apprendre à se réparer… Entre Paris et la Bretagne, au gré des rencontres et des expériences, des déceptions et des espoirs, Elise va se rapprocher d’une compagnie de danse contemporaine. Cette nouvelle façon de danser va lui permettre de retrouver un nouvel élan et aussi une nouvelle façon de vivre.
En corps perpétue ce désir de réinvention en le plaçant en pleine lumière : celui d’une danseuse contrainte de modifier sa vie de fond en comble suite à un accident. Une sorte de manifeste pour la résilience et le changement.
Cédric Klapisch a toujours été concerné par le mouvement : sa société de production se nomme ainsi Ce qui me meut, titre du court métrage sur Etienne-Jules Marey qui l’a révélé. A partir de ce début révélateur, la danse a souvent fait partie de l’arrière-plan de ses films, cf. le personnage de Natacha dans Les Poupées russes ou celui de Pierre dans Paris. Dans le domaine documentaire, Klapisch a même consacré un film à Aurélie Dupont, danseuse étoile, Aurélie Dupont, l’espace d’un instant, ainsi qu’un court métrage aux danseurs de l’Opéra de Paris pendant le confinement, Dire merci. En corps apparaît donc comme la suite logique de son obsession pour la danse quelles que soient ses formes.
Car En corps possède l’originalité de mêler dans un même film le ballet classique et la danse contemporaine, commençant par quinze minutes de La Bayadère et se finissant par la même durée d’un ballet de Hofesh Schecter, chorégraphe réputé de danse contemporaine. Klapisch prend des risques en ouvrant et fermant son film sur quinze minutes de danse. Ce risque s’avère payant car, en véritable amoureux de la danse, il parvient à capter assez bien la grâce des mouvements des danseurs et à la partager. Le film est ainsi parsemé de moments de danse représentant 25 à 35% du film, sa meilleure partie, quasiment documentaire, où une danseuse classique (Marion Barbeau, première danseuse à l’Opéra de Paris, dans son premier rôle au cinéma) réapprend la vie à travers la danse contemporaine.
Car Klapisch met en scène cette histoire en greffant ses thématiques récentes, le travail de deuil, la résilience, les choix sentimentaux. Malheureusement, il n’échappe pas complètement aux clichés dans ce travail scénaristique, peut-être de manière volontaire, préférant laisser la place au spectacle fascinant de la danse. Reconnaissons que Klapisch a su ménager quelques jolies séquences et intermèdes comiques essentiellement dus à Denis Podalydès, en père, avocat hermétique à la danse, Muriel Robin, infirme qui a décidé d’accueillir des artistes, ou François Civil, fil rouge de ses trois derniers films, assez irrésistible en masseur-kiné, amoureux sans espoir, qui semble s’être substitué chez Klapisch à Romain Duris, en porte-parole des émois sentimentaux du monde d’aujourd’hui. Le souci provient surtout de la trame générale qui n’échappe guère aux platitudes : le choix entre deux amours, la reconstruction via la danse et l’art, le deuil surmonté grâce au travail.
En fait, Klapisch a cru pouvoir consacrer son film à la danse en élaborant une intrigue légère et relativement inconsistante, en partant du principe éprouvé dans les comédies musicales que 25 à 35% des numéros musicaux portaient de toute manière l’histoire. Or ce principe est surtout valable pour les comédies musicales où les chansons racontent également l’histoire, en parallèle de la ligne narrative principale. Dans les films de « danse », l’histoire se doit d’être plus « dense », les numéros dansés étant muets par la force des choses. Cela peut être observé dans Les Chaussons rouges de Michael Powell et Emeric Pressburger ou Black Swan de Darren Aronofsky, qui demeurent les grands films consacrés à l’art de la danse. L’un était consacré à la rivalité entre l’art et la vie, l’autre à la part maléfique de la danse qui dévore chaque danseur, écartelé entre son obsession de perfectionnisme et la rage de concurrence qui l’entoure. En écartant ces deux problématiques, il ne reste ici à Klapisch que la thématique de la danse, art de reconstruction de la vie, qui débouche davantage sur des poncifs sentimentaux, péché mignon du cinéaste. Par conséquent, oeuvre sympathique et gentiment empathique, En corps n’inquiétera guère les deux classiques sus-nommés mais permettra de s’interroger sur la résilience à l’oeuvre à travers l’exercice d’un art, quel que soit l’art en question.
RÉALISATEUR : Cédric Klapisch NATIONALITÉ : française AVEC : Marion Barbeau, Denis Podalydès, Muriel Robin, François Civil GENRE : Comédie dramatique DURÉE : 2h DISTRIBUTEUR : Studio Canal SORTIE LE 30 mars 2022