Face au régressif et jubilatoire Planète Terreur de Robert Rodriguez, l’ultra-référencé et révisionniste Boulevard de la mort de Tarantino : deux pastiches de films d’exploitation pour un grand projet commun, Grindhouse. Méconnue en France, l’expérience proposait outre-Atlantique de revivre une époque révolue : celle des doubles-programmes au cinéma. Une séance, un seul billet, deux films. La nostalgie d’un temps, d’un autre rapport au lieu qu’est la salle. Echec aux Etats-Unis lors de sa sortie en 2007, le film ne trouve que timidement son public en France. Séparé de son acolyte Planète Terreur, Boulevard de la mort était par ailleurs présent au Festival de Cannes dans une version longue de 127 minutes. En juin 2007, les salles hexagonales eurent finalement droit à une version de 114 minutes. Deux mois plus tard, c’était au tour du film de Robert Rodriguez de paraître dans les salles sombres avec un succès très relatif : près de 115 000 entrées en France contre 607 000 pour Death Proof. Dans le cas du film de Tarantino, le succès fut surtout d’estime. Aujourd’hui, à l’heure de la sortie de sa neuvième œuvre, Boulevard de la mort marque encore par son imagerie forte, son écriture référentielle et sa pertinente scission interne, forme de remake au dénouement revu et corrigé : gloire et déclin du tueur Stuntman Mike incarné par la figure d’anti-héros du cinéma de Carpenter, Kurt Russell.
La fin d’un règne, d’un Age d’or pour le cascadeur devenu brutalement ringard et dépassé. A force de répétition, son rituel meurtrier stagnant, il amène à lui sa propre conclusion.
Alors que Jungle Julia, Shanna et Arlene vivent intensément la nuit tombée, écumant joyeusement les bars du Texas, elles ne manquent pas d’attirer une certaine convoitise. Mike, un ancien cascadeur, apprécie particulièrement épier les jeunes femmes : protégé de la mort dans sa Chevrolet Nova, il scrute et traque ses prochaines victimes. Le procédé est simple et vicieux, il tue en utilisant son bolide. Si le véhicule, renforcé, peut en effet protéger de la mort, ce n’est en revanche vrai que pour le conducteur. A sa gauche, la place du mort. Jouant de sa proximité avec le slasher, Boulevard de la mort ne rentre cependant pas dans la logique du registre, préférant cultiver son propre rythme. Bien qu’existant fondamentalement qu’au travers d’une myriade de références, composant autant son imagerie que son texte, l’œuvre se démarque toutefois en empruntant le chemin de l’auto-remake. A la manière d’un Kill Bill, Tarantino déjoue le récit stéréotypé et altère ainsi, à sa façon, la représentation des personnages. A ce titre, le réalisateur utilise autant les textures du film que la rencontre entre des temporalités pour provoquer un crash : celui du modèle du psychopathe phallocrate. La fin d’un règne, d’un Age d’or pour le cascadeur devenu brutalement ringard et dépassé. A force de répétition, son rituel meurtrier stagnant, il amène à lui sa propre conclusion. Le film venge d’une certaine manière ses premières victimes en ouvrant une nouvelle page, neuve et moderne. L’aspect visuel accompagne ce changement en troquant ses images fatiguées et son montage aléatoire par une netteté et une rigueur autre.
De Point limite zéro du réalisateur Richard Sarafian à Duel de Spielberg, Boulevard de la mort multiplie les convocations et citations dans une œuvre ludique et consciente de son propre jeu vis-à-vis de ses références et du spectateur. Un récit parfaitement huilé, certes bavard, mais qui loin de se contenter de citer et de faire transpirer les craintes et obsessions du réalisateur au travers de ses personnages, met en scène une vengeance plus profonde : celle d’une construction trop établie. Un clin d’œil symbolique de Kurt Russell incarne parfaitement cette idée de déconstruction, finalement participative, de la masculinité à l’écran et plus largement du registre emprunté, piégé à son propre jeu. Un pur moment de cinéma, où réflexion et plaisir s’entremêlent entre deux vrombissements de la Chevrolet Nova.