Yes : le coup de poing de Nadav Lapid

Projeté à la Quinzaine des cinéastes, le nouveau long métrage de Nadav Lapid, Yes, est un véritable uppercut cinématographique, tant au niveau de la forme que du fond. Dans la lignée de ses récents derniers films (Synonymes, Ours d’or en 2019 et surtout Le Genou d’Ahed, Prix du Jury à Cannes en 2021), le cinéaste passe à la moulinette de sa caméra la société de son pays, jetant un regard sans concession sur Israël, lui qui s’est exilé depuis quelques années en France. A n’en pas douter, Yes fera parler de lui, suscitant le débat, mais force est de constater, pour reprendre le mots mêmes prononcés par Julien Rejl, le délégué général de la section cannoise lors de sa présentation, « qu’il tombe à point nommé » (hasard malheureux du calendrier, le film a été projeté le 22 mai, jour de l’assassinat de deux membres de l’ambassade israélienne à Washington, alors que les offensives de Tsahal se poursuivent dans le même temps).

Israël au lendemain du 7 octobre. Y., musicien de jazz précaire, et sa femme Jasmine, danseuse, donnent leur art, leur âme et leur corps aux plus offrants, apportent plaisir et consolation à leur pays qui saigne. Bientôt, Y. se voit confier une mission de la plus haute importance : mettre en musique un nouvel hymne national.

La séquence d’ouverture donne d’emblée le ton d’un film protéiforme, « monstrueux » (dans le bon sens du terme) : une scène de liesse, dans une villa, sorte de dancefloor où s’éclate le personnage principal Y. ainsi que sa compagne Yasmine. On danse, on boit, on s’éclate littéralement alors que e contexte politique et social est une vraie poudrière. Le couple n’hésite pas non plus à se prostituer et à se livrer à tous les excès (une scène illustre parfaitement cela, lorsqu’il couche avec une femme de la haute société).

Construit en plusieurs parties, Yes n’est pas un film facile, il n’entend pas caresser le spectateur dans le sens du poil, c’est le moins que l’on puisse dire

Cette obscénité, que veut filmer Nadav Lapid, est encore plus renforcée lorsque, durant la fête, une « battle » musicale voit s’opposer des représentants de l’armée et des Israéliens pro-guerre et Y. accompagnée de Yasmine. Lorsque le musicien accepte la commande, à savoir composer la musique d’un nouvel hymne sur des paroles nationalistes et guerrières, Y. accepte, il a besoin d’argent pour faire vivre sa famille. Ce travail va lui faire rencontrer une série de personnes : un chef d’Etat-major, des oligarques (russes ?) et même son ancienne compagne qui apparaît dans l’un des segments les plus forts du film. Construit en plusieurs parties, Yes n’est pas un film facile, il n’entend pas caresser le spectateur dans le sens du poil, c’est le moins que l’on puisse dire. C’est une œuvre bouillonnante, tourmentée à l’image de la société israélienne, surtout à la suite des attentats du 7 octobre 2023 (c’est aussi la date de naissance de leur enfant, ce qui n’est pas une coïncidence bien entendu), véritable traumatisme pour tout un peuple. Le long métrage est pessimiste, observant une société sombrer, mais plus globalement l’humanité vaciller. Le personnage, qui a tendance à dire « oui » à tout pourvu que ses besoins soient satisfaits, lui aussi, perd pied, ce qui aura des incidences sur sa relation avec sa femme. Ce qui tranche avec la représentation habituelle de ce genre de protagoniste c’est qu’il ne s’agit pas d’un résistant, ni d’un militant, on est ici en présence d’un anti-héros.

Y. devient le double du cinéaste qui se questionne, interroge ses propres contradictions d’artiste dans un pays en temps de guerre.

La 2e partie de Yes est très forte, notamment la séquence dans laquelle les personnages se rendent à la frontière avec la bande de Gaza, les panaches de fumée étant constamment visibles à l’écran tout comme le son des bombardements. Y. devient le double du cinéaste qui se questionne, interroge ses propres contradictions d’artiste dans un pays en temps de guerre, dans une société qui, majoritairement, réclame vengeance après le choc des attentats. A ce titre, les scènes finales font littéralement froid dans le dos, quand Y. accompagne au piano les paroles virulentes et abjectes de l’hymne dans ce qui s’apparente être une répétition générale dans un amphithéâtre, le tout accompagné par une vidéo d’enfants chantant en cœur sur fond d’images de propagande (cet élément est tiré d’une vidéo bien réelle, diffusée sur Youtube, que Nadav Lapid reprend mais en masquant les visages des mineurs). Quelques instants après, il se retrouve en loge à lécher les bottes d’un oligarque : jamais (sauf peut-être dans Synonymes du même auteur), la soumission à l’autorité n’avait été montrée de manière aussi frontale.

Porté par une forme inventive tout en constituant une épreuve pour le spectateur, Yes fera à n’en pas douter parler de lui, pour de bonnes raisons.

Il est évident qu’un tel film, lorsqu’il sortira en salle, suscitera le débat. C’est une charge féroce, courageuse (tout comme la démarche de tous les participants à ce film qui ont accepté que leur nom figure au générique sans modification) d’un citoyen, cinéaste, contre la société d’un pays qu’il a par ailleurs quitté, qui ne pense qu’à se venger et qui, pour partie seulement, semble en perte de repères. Porté par une forme inventive tout en constituant une épreuve pour le spectateur (caméra à l’épaule, qui tourne sur elle-même, montage rapide…), Yes fera à n’en pas douter parler de lui, pour de bonnes raisons.

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RÉALISATEUR : Nadav Lapid
NATIONALITÉ : France, Allemagne, Israël, Chypre
GENRE : Drame
AVEC : Ariel Bronz, Efrat Dor, Naama Preis
DURÉE : 2h30
DISTRIBUTEUR : Les Films du Losange
SORTIE LE 17 septembre 2025