Par la force des choses et la concordance des dates, Westworld est devenue la série de notre confinement. Lancée le 16 mars 2020, elle a en effet coincidé à un jour près avec le début du confinement en France. Pour autant, depuis son lancement en 2016, la série très ambitieuse de Jonathan Nolan et son épouse Lisa Joy s’est conformée à un rythme étrange, en revenant tous les deux ans, sous prétexte de peaufiner l’écriture et la réalisation des épisodes : 2016, 2018 et donc 2020 pour cette troisième saison. D’autres séries auraient pu être oubliées avec un tel rythme de sénateur mais Westworld continue à faire l’événement.
Par la force des choses et la concordance des dates, Westworld est devenue la série de notre confinement. Lancée le 16 mars 2020, elle a en effet coincidé à un jour près avec le début du confinement en France.
Résumons rapidement l’intrigue pour ceux qui ne connaîtraient pas la série : des androïdes peuplent un parc d’attractions conçu comme un décor de western, entièrement à la disposition de visiteurs humains qui viennent y réaliser leurs fantasmes. Mais Dolorès, une androïde surdouée, décide de se révolter…
La saison 1, assez fascinante, présentait le parc ainsi que les différents personnages de l’intrigue, mais servait surtout de monumentale exposition aux événements qui devaient suivre. La saison 2 constituait essentiellement une transition permettant de passer de l’univers du parc au monde réel. Enfin, dans la saison 3, commence donc la véritable histoire, celle de Dolorès plongée dans le monde réel et intriguant pour en obtenir la maîtrise. Cette idée est tout simplement exprimée par le nom des différentes saisons, Le Labyrithe, La Porte et Le Nouveau Monde.
Depuis le début de la série, Westworld allie de sérieuses, voire exceptionnelles, qualités de photographie et de réalisation avec une certaine tendance à couper inutilement les cheveux en quatre. Même la saison 1 mettait beaucoup de temps à démarrer, hormis un formidable premier épisode, les épisodes 2 et 3 contenant leur quota de mollesse narrative. Ce n’était que peu de chose à côté de l’embrouillamini de la saison 2 où Jonathan Nolan et Lisa Joy se sont essayés à imiter la complexité narrative de la saison 4 de Lost, – deux lignes narratives qui se succèdent chronologiquement et se prolongent en parallèle avant de se rejoindre -, malheureusement avec beaucoup moins de réussite.
La saison 3 commence magnifiquement par cette immersion dans le monde réel de demain, nous faisant quitter avec soulagement des multiples recoins du parc que nous commencions à connaître par cœur. Néanmoins la série n’échappe pas complètement à ses anciens démons, une certaine lenteur au démarrage et une complaisance dans l’esthétisme de l’univers, au détriment des personnages, nous y reviendrons. En effet, Joy et Nolan utilisent un procédé spécifique à Damon Lindelof (Lost, The Leftovers, Watchmen), le fait de raconter en fil rouge l’histoire personnelle d’un des personnages, à côté de l’intrigue principale. La série sera donc racontée du point de vue, dans l’ordre des épisodes, Dolorès, Maeve, William, Charlotte, Enguerrand Serrac, etc. Or le procédé fonctionne beaucoup moins ici que chez Lindelof qui s’assure de préserver une dramatisation minimale. Les trois premiers épisodes pâtissent d’un rythme assez mou de perpétuelle exposition, de délayage systématique, l’action dramatique ne commençant à se nouer qu’au quatrième épisode (sur huit au total). On peut le regretter de la part de Jonathan Nolan qui nous avait habitués à une narration bien plus virtuose dans son chef-d’oeuvre Person of Interest.
On retrouve pourtant ici le sens du conflit et l’absence de manichéisme des productions JJ Abrams (Alias, Lost, Person of Interest) : les humains, tout comme les androïdes, ne sont guère irréprochables, les uns présentant un univers dominé par le totalitarisme de l’information, tandis que les autres ne lésinent pas sur les scrupules et les moyens pour s’approprier le monde que les humains ont totalement gâché, par leur ivresse incontrôlée du pouvoir. Cette vision de l’affranchissement possible des robots est suffisamment passionnante pour retenir notre attention, en prolongeant la thématique de l’intelligence artificielle, exploitée par Nolan dans Person of Interest.
L’enrobage stylistique de la série est exceptionnel. Citons par exemple la bande-son de l’épisode 5, Genre, où Caleb, le personnage de délinquant suicidaire, interprété par Aaron Paul, entend des musiques de genre différents sous l’effet d’une drogue (la chevauchée des Walkyries de Wagner, Un été 42 de Michel Legrand ou encore Nightclubbing d’Iggy Pop). Par conséquent, où le bât blesse-t-il? Pourquoi, en dépit d’aussi évidentes qualités formelles et thématiques, Westworld n’est plus depuis longtemps la série appelée à succéder à Game of Thrones, sinon par son ambition, du moins par son succès critique et public?
Parce que, dans Westworld, rien n’est réel en définitive, comme l’annonce Maeve au début de l’épisode 2 de cette saison 3. Rien n’est réel donc rien n’affecte vraiment les personnages, en particulier les androïdes, ils peuvent mourir et ressusciter en un clin d’œil. Ce qui manque à Westworld et qui fait que, bien qu’il s’agisse d’une excellente série, elle ne pourra sans doute être comparée à l’avenir à d’autres séries exceptionnelles comme Buffy contre les Vampires ou Lost, c’est ce qu’on appelle la résonance émotionnelle des personnages. Ce qui leur arrive nous affecte personnellement, ce qui n’est pas le cas ici, en raison de l’univers très froid et déconnecté du réel, affiché par la série. On ne peut guère s’attacher à Dolorès (Evan Rachel Wood, pourtant au summum de sa beauté), devenue une machine à tuer, ni à Bernard toujours aussi hébété, ou à Charlotte habitée par un autre esprit que le sien. Restent donc essentiellement pour nous émouvoir un peu, Maeve (Thandie Newton qui apporte une fragilité bienvenue à son personnage) et surtout Caleb (Aaron Paul), peut-être parce qu’il est humain, après tout.
Westworld représente un peu une « sursérie », surécrite, surfilmée, surpuissante et un peu surjouée, consciente de ses moyens et de ses ambitions, à laquelle on peut essentiellement reprocher un manque d’innocence et de spontanéité. Lorsqu’on voit la distribution de Westworld, quasiment composée d’acteurs de premier plan, on peut regretter les premiers temps de HBO, son Age d’Or, où de parfaits inconnus (James Gandolfini, Peter Krause, Dominic West, Idris Elba, y compris les jeunes acteurs débutants de Game of Thrones) trustaient les premiers rôles de ses séries. Cela n’arrive plus aujourd’hui, le casting de Westworld constitue ainsi une assurance tous risques contre l’échec mais on peut le déplorer. Ce n’est pas la faute de Westworld, les temps ont changé, comme dirait Bob Dylan.