Vice Versa : Please dont grow up. Ever.

Après s’être consacré aux affres de la vieillesse (Là-haut qui a lancé toute une vogue de films sur le Troisième âge, comme Amour de Michael Haneke et le plus récent Chronic de Michel Franco), Pete Docter, l’un des auteurs-phares du studio Pixar, a décidé de se pencher sur les souffrances de l’enfance. C’est ainsi à un voyage au centre du cerveau d’une petite fille, Riley, qui sombre dans la dépression à la suite du déménagement de ses parents à San Francisco, qu’il nous convie. Contrairement à ses allures trompeuses de blockbuster coloré et euphorisant, Vice Versa impose une double lecture beaucoup plus tragique, la mort de l’enfance qui résonne en chaque spectateur.


Riley est une petite fille normale de huit ans, jusqu’à ce que toute sa famille déménage en Californie, dans un appartement tristounet et vétuste. Elle plonge alors dans une dépression que les auteurs de Vice Versa, Pete Docter et Ronaldo Del Carmen vont tenter d’analyser au moyen du film d’animation. A cette fin, une idée géniale est mise en place : le film sera vu à partir de l’esprit de la petite fille, considéré comme une salle de contrôle quasiment militaire où cinq émotions se disputent le gouvernail : cinq créatures sous forme humaine, de différentes couleurs, représentant respectivement la Joie (fluorescente), la Tristesse (bleue), la Peur (mauve), le Dégoût (verte) et la Colère (rouge, évidemment).


A partir de là, un système formel d’une complexité folle est concrétisé à l’écran, faisant de Vice Versa sous son apparence bonhomme de blockbuster l’un des films les plus conceptuels et ambitieux de son époque. Il s’agit a minima de représenter
un voyage au bout de l’esprit d’une petite fille. Comme Tex Avery en son temps mais d’une manière différente, le studio Pixar excelle dans l’art de la double lecture. Les enfants (voire une bonne partie des adultes!) n’y verront que du feu, distraits et divertis par une gerbe variée de couleurs et de mouvements. Les autres, plus mûrs ou plus attentifs, se souviendront de L’Aventure intérieure de Joe Dante et admireront la précision millimétrée au plan près des variations de scénario : le film fonctionne comme une série d’allers-retours entre le réel de Riley et la salle de contrôle gouvernant son esprit, et de péripéties concernant l’exclusion de Joie et de Tristesse de ladite salle.


Un système formel d’une complexité folle est concrétisé à l’écran, faisant de Vice Versa sous son apparence bonhomme de blockbuster l’un des films les plus conceptuels et ambitieux de son époque.

Car dans Vice Versa, la représentation conceptuelle est parfaitement maîtrisée et justifiée d’un point de vue médical, à la limite d’une froideur presque clinique, heureusement écartée par le biais de l’humour. Entre les souvenirs essentiels et les émotions multicolores, le film valse joliment. Les blagues potaches ne servent qu’à masquer le fond tragique du film: comment la tristesse au sens propre va s’emparer de l’esprit d’une petite fille et la faire entrer dans l’âge adulte. Joie et Tristesse sont rejetées dans une zone inconnue, ce qui laisse les autres émotions inorganisées dominer l’esprit de Riley et la faire devenir un monstre aux yeux de ses parents. Il n’est pas exclu de voir dans Vice Versa une version cérébrale, grand public et encore plus pré-pubère de L’Exorciste, tant Riley, comme Regan, se laisse déborder par des émotions irrépressibles. Or, contrairement aux idées reçues, la tristesse ferait sortir Riley de cet état d’inorganisation en lui faisant assumer une mélancolie bienvenue.

On assiste alors progressivement dans la dernière partie du film à un passage de relais entre Joie et Tristesse qui sonne le glas de l’enfance. Comme disait Van Gogh, « la tristesse durera toujours ». C’est à l’enfant qui risque de devenir adulte (« This film is dedicated to our kids. Please don’t grow up. Ever » peut-on lire en conclusion du film) que Pete Docter s’adresse : au-delà des gags burlesques du générique de fin qui remplissent le cahier des charges d’un brillant divertissement apparemment consensuel, le cri existentiel de cette petite fille ne cesse de résonner et nous renvoie tragiquement à l’enfant qui ne veut pas mourir en nous.