© Tandem Films
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The President’s cake : tarte à la crève

Vingt-deux ans après la chute de Saddam Hussein, l’Irak amorce une lente reconquête de son imaginaire. En 2025, deux films sélectionnés à Cannes signalent ce frémissement : Monsieur Saïd (1957), restauré à Cannes Classics, et The President’s Cake, premier long-métrage d’Hasan Hadi, présenté à la Quinzaine des Cinéastes. Le passé et le futur d’un cinéma empêché se répondent : l’un exhumé de l’oubli, l’autre né d’une industrie balbutiante mais déjà lucide.

The President’s Cake nous plonge dans l’Irak des années 1990, à hauteur d’enfant, au cœur d’un pays étranglé par les sanctions internationales et gouverné par un pouvoir autoritaire indifférent à la misère de sa population. Dès les premiers plans, le film déploie un monde suspendu : maisons sur pilotis, pirogues sur des canaux limoneux, lumière laiteuse. Une beauté ténue, rapidement trouée par le rugissement d’avions américains striant le ciel — fantômes sonores d’une guerre sans visage.

Dans ce quotidien asphyxié, l’école n’offre aucun refuge. Elle reproduit les logiques du régime : slogans à la gloire de Saddam Hussein (“Nous sacrifions nos âmes pour toi”), portrait du Raïs au-dessus du tableau, tirage au sort des corvées. À Lamia, 9 ans, on confie une mission absurde : faire un gâteau pour l’anniversaire du Président. Ce point de départ presque burlesque devient le moteur d’un récit d’initiation marqué par la pénurie et la perte. Lamia et sa grand-mère quittent leur village pour la ville, en quête d’ingrédients introuvables. Le sucre, les œufs, la farine : tout s’échange, se vole, ou s’achète au prix de la dignité.

Quand la grand-mère envisage de confier Lamia à une autre famille, la fillette fugue. Elle entraîne avec elle Saaed, fils d’un mendiant, petit voleur insolent et loyal. Ensemble, ils traversent un monde où l’économie du manque révèle les vices des adultes : une femme enceinte vend son corps pour des denrées, les enfants se font exploiter, abuser. Seul le facteur fait preuve de bonté, mais même lui doit constamment mettre la main à la poche pour obtenir de l’aide.

Le film ne cède jamais à la plainte. Il épouse le regard de Lamia avec constance, sans l’infantiliser. Son jeu préféré avec Saaed — se fixer sans cligner des yeux — devient une manière de tenir bon, de résister, de créer un lien dans un monde sans repères. La peur s’infiltre par les marges : un avion invisible, une main qui s’attarde, le vice d’adultes mal intentionnés

Tourné intégralement en Irak avec des acteurs non-professionnels, le film impressionne par sa rigueur formelle. Il capte avec acuité un territoire rarement filmé : visages creusés, ruelles poussiéreuses, canaux marécageux. Certaines images laissent une empreinte durable : le reflet de la grand-mère à la surface de l’eau, ou cette voiture de mariage devenue corbillard au retour. Le symbolisme n’est jamais appuyé ; il surgit du réel. Sans chercher à expliquer l’Irak, le premier long-métrage de Hasan Hadi en offre une vision intérieure, modeste et précise grâce au regard d’une enfant qui ne détourne jamais les yeux, même lorsque ceux-ci sont baignés de peur.

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RÉALISATEUR : Hasan Hadi 
NATIONALITÉ :  irakienne
GENRE : drame
AVEC : Baneen Ahmad Nayyef, Sajad Mohamad Qasem, Waheed Thabet Khreibat
DURÉE : 1h43
DISTRIBUTEUR : Tandem Films
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