The Innocents : petits mais puissants

Après un passage remarqué au Festival de Cannes dans la section Un certain regard, The Innocents continue son trajet dans les festivals du monde entier avec une projection en avant-première dans la compétition internationale de la 27ème édition de l’Étrange Festival. Réalisé par Eskil Vogt, scénariste norvégien, habitué des films de Joachim Trier, le long-métrage touche sans hésitation à un sujet aussi tabou que la violence infantile, écornant le mythe de l’innocence des petites têtes blondes avec une attention au sadisme et à la psyché infantile d’ambition presque freudienne.

L’été, dans un logement social norvégien. Dans les espaces partagés délaissés par les familles parties en vacances, la jeune Ida cherche à passer le temps. Avec ses parents et Ana, sa grande sœur autiste, leur famille emménage dans un nouvel appartement, avec l’espoir que la santé de l’aînée s’améliore. Au détour d’une aire de jeu, Ida rencontre Benjamin, et Ana rencontre Aisha. Alors qu’ils se mettent à jouer, d’étranges évènements se produisent…

Misant tout sur son scénario admirable plongeant étape par étape dans l’insoutenable du sadisme infantile, The Innocents pose un regard honnête sur la formation du mal et l’apparition de l’exigence de justice dans la microsociété des aires de jeux pour enfants – invitant au passage à contempler comment se constitue un groupe social et sur quelles valeurs il repose.

Au vu du parcours d’Eskil Vogt, rien d’étonnant à ce que The Innocents doive le plus gros de sa réussite à son scénario. Construit étape par étape, avec un cheminement progressif dans la violence qui aboutit avec la création d’un véritable sociopathe, Eskil Vogt peint ses personnages infantiles en même temps qu’il analyse leurs actions et contemple la manière dont la morale se forme dans le microcosme de l’aire de jeu. À la manière d’un psychanalyste, le réalisateur tente de mettre à jour tous les déterminismes qui poussent deux enfants joueurs à dépasser chaque fois de nouvelles étapes dans la violence. En peignant à travers la mécanique du jeu infantile des monstres en puissance tiraillés entre leurs pulsions de mort et leur empathie l’un pour l’autre, Eskil Vogt fascine par la capacité de ses personnages à échapper aux standards éthiques des adultes – et du cinéma en général – et pousse la monstruosité de ses personnages toujours plus loin, trouvant dans cette violence sans tabous le meilleur argument de son film. On ne peut que regretter que le film, bien que s’étant frotté au plus terrifiant et insondable de la pulsion de mort infantile, finisse par renouer avec une morale aussi catégorique et univoque que celle qu’il choisit pour son final – celle de la nécessité du « bien » et de l’exécution de la justice. Une morale bien adulte, pour une société d’enfants.

Si le scénario porte le film, The Innocents a cependant parfois du mal à sortir d’une direction artistique un peu trop sage, qui aplatit malheureusement tous les efforts que fournit l’intrigue pour créer un film insoutenable. Avec un style naturaliste qui ne s’essaye que trop rarement à de vrais partis pris de mise en scène, Eskil Vogt colle de trop près au réel, attaché qu’il est à établir la chaîne de causalités qui fait apparaître le sadisme et la violence infantile – délaissement, isolement, maltraitance… À l’exception de quelques scènes perdues entre la paralysie du sommeil et le cauchemar dans la dernière partie du film – scènes par ailleurs esthétiquement assez ordinaires – Eskil Vogt fait le choix de garder un regard plus descriptif qu’immersif, au risque de parfois rester trop distant. Un parti pris qui permet à l’intrigue de mener le film baguette en main, mais qui pourra laisser certains spectateurs avides de mise en scène un peu plus sur leur faim.

Misant tout sur son scénario admirable plongeant étape par étape dans l’insoutenable du sadisme infantile, The Innocents pose un regard honnête sur la formation du mal et l’apparition de l’exigence de justice dans la microsociété des aires de jeux pour enfants – invitant au passage à contempler comment se constitue un groupe social et sur quelles valeurs il repose. Un regard parfois trop honnête et analytique, pour un film au final plus discursif que visuel.

3.5

RÉALISATEUR :  Eskil Vogt
NATIONALITÉ : Norvégienne
AVEC : Rakel Lenora Fløttum, Alva Brynsmo Ramstad, Sam Ashraf
GENRE : Horreur, Drame
DURÉE : 1h57
DISTRIBUTEUR : Kinovista
SORTIE LE Prochainement