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The Immigrant : fade to grey

« Les chants du rossignol sont encore plus doux aux heures les plus sombres »

On sait à quel point le sujet de l’immigration tenait à cœur à James Gray, ses grands-parents étant arrivés à Ellis Island dans les années 20, porte d’entrée de tous les immigrés qui voulaient goûter au rêve américain. Sans être directement autobiographique, ce film est donc extrêmement personnel. James Gray se frotte également au film d’époque et change de point de vue, le film étant raconté par le regard de Marion Cotillard, dans le rôle d’une jeune immigrée polonaise. James Gray a délibérément choisi la voie du mélodrame opératique. On peut se demander en l’occurrence si « qui trop embrasse, mal étreint », le rythme finissant par devenir hiératique et languissant même si, globalement, le film demeure d’une très grande beauté esthétique.

Dès l’apparition du titre au générique, on pense à Charlie Chaplin et cette impression est renforcée par la musique qui évoque les bandes originales du génial Charlie, en particulier un film méconnu où il ne joue pas, L’Opinion publique, histoire de jeune femme sombrant elle aussi dans la prostitution. Contrairement à ce qu’on pouvait penser à la lecture du sujet, The Immigrant n’évoque donc pas tant les grands films sur l’immigration (America, AmericaGolden Door, Le Parrain 2) que les grands mélodrames classiques et plus particulièrement les opéras de Puccini où la surenchère des situations permettait d’atteindre une intensité dramatique sans équivalent.

Un rêve de vie, un rêve d’avenir aux Etats-Unis qui tourne au cauchemar, même si des lueurs d’espoir subsistent, un rêve de film auquel la cinquième œuvre de James Gray aurait aimé ressembler de bout en bout et qu’elle ne fait qu’évoquer somptueusement, de loin en loin.

Le cinéma muet et l’opéra servent donc ici de principale inspiration à James Gray, débarrassé (pour toujours ?) du carcan du film de genre et Marion Cotillard semble avoir un visage idéal pour exprimer les émotions de ce cinéma disparu. Utilisant de façon splendide une voix méconnaissable, du fait d’un accent polonais appris pour l’occasion, elle est parfaite en héroïne éplorée d’opéra. Le film tourné en pellicule (peut-être pour la dernière fois ?) a la patine des films et de la photographie des années 20, par la grâce de l’image de Darius Khondji. Au début, le rythme du film est extrêmement assuré et équilibré, confirmant les qualités inestimables de conteur de James Gray : Ewa Cybulski (Marion Cotillard) se retrouvera, prise en étau entre Bruno Weiss (Joaquin Phoenix), son souteneur qui la maintient dans l’enfer de la prostitution et le cousin de ce dernier, Orlando (Jeremy Renner), magicien de son état, qui lui fait miroiter un futur plus radieux en Californie. Deux amoureux comme dans le précédent film de James Gray et pourtant c’est ce qui va faire dériver très près de la ligne d’arrivée son cinquième film.

Car le conflit dramatique ne va pas s’exprimer chez le personnage de Marion Cotillard : elle n’aura pas vraiment à choisir entre les deux hommes du fait d’une tragique fatalité. A partir de là, l’on s’aperçoit que le véritable enjeu dramatique aurait dû être porté par le personnage de Joaquin Phoenix qui va exprimer la « morale » de l’histoire : aucun être n’est jamais complètement mauvais ni bon ; tous ont droit à leur moment de rédemption, qu’ils peuvent laisser passer ou non.

Avouons-le, James Gray s’est laissé un peu engoncer dans sa reconstitution historique et surtout son projet opératique qui, à force de schématisme émotionnel, devient un peu caricatural, ce qui n’empêche pas son film d’être extrêmement brillant et de s’inscrire dans la continuité d’une œuvre incroyablement cohérente : décrire l’envers du rêve américain (ce n’est pas un hasard si Marion Cotillard est filmée très souvent en train de dormir, de rêver ou de se réveiller brutalement). Un rêve de vie, un rêve d’avenir aux Etats-Unis qui tourne au cauchemar, même si des lueurs d’espoir subsistent, un rêve de film auquel la cinquième œuvre de James Gray aurait aimé ressembler de bout en bout et qu’elle ne fait qu’évoquer somptueusement, de loin en loin.