Avec cette nouvelle version des aventures de Batman, Matt Reeves est très attendu, ayant promis de l’inédit et surtout de réaliser le Batman définitif. Au départ, The Batman était un projet de Ben Affleck que le comédien-réalisateur devait jouer et mettre en scène. En raison de son retrait, Matt Reeves a repris le projet et complètement réécrit le scénario avec Peter Craig. Si l’on excepte le tout premier Batman de 1966, réalisé par Leslie H, Martinson, adapté de la série télévisée, The Batman est en fait le dixième film faisant apparaître Batman au cinéma et se devait d’être donc un couronnement. Entre le baroque gothique de Tim Burton, le loufoque médiocre de Joel Schumacher, le réalisme technologique de Christopher Nolan et les errements de Zach Snyder dans l’univers D.C., comment Matt Reeves allait-il trouver sa voie? Il réussit à en trouver une cinquième assez inattendue, en transformant Batman en détective d’un polar néo-noir psychanalytique, porté par un Robert Pattinson intense en adolescent attardé et dépressif.
Dans sa deuxième année de lutte contre le crime, Batman explore la corruption qui sévit à Gotham City et comment elle pourrait être liée à sa propre famille, les Wayne. En parallèle, il enquête sur les meurtres d’un criminel qui pose des énigmes dans ses lieux de crimes, nommé Riddler (le Sphinx).
Matt Reeves réussit à trouver une cinquième voie assez inattendue, en transformant Batman en détective d’un polar néo-noir psychanalytique, porté par un Robert Pattinson intense en adolescent attardé et dépressif.
Dans The Batman, contrairement à quasiment tous les films précédents, Batman se trouve au centre du film, alors qu’il laissait souvent la vedette à ses ennemis, en particulier dans Batman le Défi, où Le Pingouin, Catwoman et Max Schrek interprétaient à tour de rôle des arias. Dans d’autres films comme Batman ou The Dark Knight, sa personnalité réservée et introvertie passait souvent au second plan face à celle nettement plus explosive du Joker. Ici, c’est lui qui donne le ton, particulièrement sombre et totalement dénué d’humour, à l’opposé des saillies burtoniennes. Ce sont donc un Ave Maria presque étranglé et un Something in the way nirvanesque qui affichent sur la B.O. une résonance mélancolique, à la limite du suicidaire, en écho à l’interprétation de Robert Pattisson impressionnant en post-adolescent qui a perdu sa raison de vivre.
Le point fort du film, en-dehors de cette incarnation hantée de Pattinson qui accompagne le film de sa voix off étouffée, réside dans son esthétique, un choix assumé de direction artistique très sombre, qui renvoie à l’aube du cinéma, aux plaisirs du ciné-feuilleton de Feuillade et de ses ombres et lumières. En soi, chaque plan ressemble à un tableau vivant, et le film entier à une collection d’enluminures presque sacrées. C’est la très grande réussite du film d’avoir su créer une esthétique différente des précédentes, plus carnavalesque chez Burton, plus réaliste et matérialiste chez Nolan. Le commentaire en voix off typique des films noirs accentue cette impression de se retrouver dans un territoire différent mais connu, celui des polars des années 40-50.
Néanmoins, Matt Reeves, s’il est un faiseur de films (filmmaker) très doué, à la manière d’un Ridley Scott, il n’est pas véritablement un auteur et réalise toujours des films d’après d’autres oeuvres. Reeves est ainsi un cinéaste du remake, refaisant parfois aussi bien voire nettement mieux ce que d’autres ont déjà fait avant lui : en témoignent l’excellent Cloverfield, film apocalyptique très brillant, ou Laissez-moi entrer, le remake de Morse, ou encore ses deux suites de la saga de La Planète des Singes. Dans The Batman, en plus de se référer visuellement à l’univers feuilletonesque des premiers Feuillade ou celui des polars noirs, une référence majeure s’impose au point même de récuser toute notion d’originalité, celle de David Fincher. Car comment ne pas penser à la majeure partie de Seven, à partir du moment où le Sphinx s’impose physiquement dans l’intrigue? Le fait qu’apparaissent des hommes masqués, acolytes d’Edward Nashton, membres d’une confrérie d’extrême-droite qui évoquent assez volontairement les activistes de Fight Club est assez patent, tout comme les rébus et devinettes qui parsèment le chemin du film, de la même manière que dans le formidable Zodiac. A partir de là, l’on a réussi à identifier la principale boussole cinématographique de Matt Reeves pour ce film, David Fincher, maître du polar néo-noir qui imprime sa marque expressionniste sur la plupart des plans, ainsi que sur l’ambiance glauque, ténébreuse et pluvieuse du film.
Sous très forte influence fincherienne, The Batman se démarque donc des films qui l’ont précédé et surclasse sans peine les films de divertissement d’un Schumacher ou les boursouflures d’un Snyder. Il n’en demeure pas moins très loin des styles visionnaires d’un Burton ou d’un Nolan qui n’ont guère copié d’autres metteurs en scène mais ont imposé leur propre personnalité. Ce n’est pas véritablement le cas de Matt Reeves. Le film, en dépit de toutes ses somptueuses qualités esthétiques, souffre d’un trop-plein évident : à force de vouloir faire rentrer dans un seul film la plupart des antagonistes de Batman (Le Pingouin, Falcone, Catwoman, Riddler), – ne manquent à l’appel que Joker, Double-face, Bane et l’Epouvantail – The Batman (2h57 au compteur) possède a minima trente sinon cinquante minutes de trop. Cette durée un peu rédhibitoire empêche, en plus de la référence, copiée-collée de Fincher, beaucoup trop présente, le film de décoller et de prendre complétement son envol. A force de vouloir faire le Batman définitif, qui trop embrasse mal étreint. Pour autant, saluons cette belle tentative de renouveler le mythe de Batman, qui, si elle n’est pas complètement réussie, par manque d’originalité, s’élève à cent coudées au-dessus de la plupart des films de super-héros, en particulier ceux de l’univers D.C.
RÉALISATEUR : Matt Reeves NATIONALITÉ : américaine AVEC : Robert Pattinson, Zoé Kravitz, Paul Dano, John Turturro, Colin Farrell, Jeffrey Wright, Andy Serkis GENRE : film de super-héros, action DURÉE : 2h57 DISTRIBUTEUR : Warner Bros SORTIE LE 2 mars 2022