The Amusement Park : seuls ensemble

Disponible en VOD (dans le catalogue Shadowz) ainsi qu'en DVD/Blu-ray chez Potemkine.

Dans une pièce blanche et stérile, une faible voix s’élève : « il n’y a rien dehors ». Un vieil homme au visage tuméfié présage le pire à ses interlocuteurs. Malgré son piteux état, visiblement fruit de mauvaises rencontres, il ne convainc personne : la porte s’ouvre inlassablement sur une joyeuse et innocente fête foraine. Derrière les apparences, le début de la fin, une humanité désincarnée et éteinte.

Parcours atypique que celui de The Amusement Park de Georges A. Romero, littéralement oublié durant près de cinquante ans. Réalisé en 1973 à la demande d’une ONG luthérienne, le moyen métrage se voulait être un outil pédagogique : un moyen de bousculer gentiment les consciences sur le sort réservé au troisième âge aux Etats-Unis. Au terme d’un court tournage, le film est monté et projeté plusieurs fois – notamment dans des festivals – avant d’être soigneusement oublié. Si le message passe bien, il semble toutefois trop mordant, même pour Romero. En 2022, le malaise de 1973 est toujours palpable : d’une génération à une autre, le constat résiste au temps. A l’heure où le dossier Orpéa agite la France, The Amusement Park résonne tristement avec l’actualité.

A l’heure où le dossier Orpéa agite la France, The Amusement Park résonne tristement avec l’actualité.

Au regard de son objectif initial, il n’est pas surprenant de trouver la métaphore employée par Romero légèrement grossière : elle devait en effet être comprise par tous. Après une brève introduction qui rappelle la portée pédagogique du film, le spectacle commence. Un vieillard épuisé et en sang s’assoit dans une pièce blanche. Un second personnage entre dans la pièce, ils se ressemblent, mais n’ont pas le même comportement : l’un semble avoir perdu le goût de tout tandis que le second brille d’optimisme. D’un pas décidé, l’homme en costume blanc se dirige vers l’unique porte de la pièce : une fois ouverte, elle donne sur une fête foraine. L’ambiance est festive, les manèges fendent l’air, la foule est dense, il y a de la vie. Le piège se renferme : comme dans une attraction lancée à vive allure, il n’est plus possible de faire machine arrière. L’innocente balade se transforme en calvaire. La fête foraine devient étrangement une version condensée de la société : on y retrouve son service de santé, de protection, mais aussi et surtout ses citoyens. Nous découvrons cet univers social à hauteur de cet homme âgé, au corps légèrement fatigué, mais à l’esprit toujours alerte. Au milieu d’un tumulte incessant, visuel comme sonore, les métaphores s’enchaînent : la police intervient lors d’un choc d’auto-tamponneuses, le public s’amuse de personnes âgées en guise de cirque et une diseuse de bonne aventure fait le récit d’une pathétique fin de vie à un jeune couple. Au bout du bout, The Amusement Park donne à voir une société égoïste, mesquine, méfiante et profondément violente. De la jeunesse à la vieillisse, il n’y a qu’un grand pas, celui de la solitude.

Sans la figure du zombie, Romero fait déjà de sa population une masse mouvante, incarnée par un puissant désir de consommation et d’immédiateté. Le temps n’affaiblit pas que le corps, mais aussi la voix : dans cette bruyante fête foraine, le vieil homme est un fantôme qui erre. Il apparaît uniquement aux yeux de ceux qui voient en lui un gagne-pain. Alors qu’on pense avoir atteint le fond, une lueur se met à briller : une petite fille demande au vieil homme de s’asseoir à côté de lui pour lire une histoire, un îlot d’humanité au milieu de ce cauchemar nihiliste. Le rêve se brise évidemment aussi vite : en quelques secondes, la petite famille disparaît, laissant seul cet homme qui ne parvient plus à trouver sa place. Il retourne dans la pièce blanche, s’assoit, épuisé, en sang. Un autre vieil homme entre un instant plus tard, il ne trouve qu’une réponse à sa question : « il n’y a rien dehors ». The Amusement Park est un brûlot essentiel, une expérience aussi absurde que fascinante.