Les biopics musicaux ont le vent en poupe. Dans les vingt dernières années, on peut recenser uniquement pour les artistes masculins : Ray, Walk the line, Bohemian Rhapsody, Rocketman, Un Parfait inconnu, et donc Springsteen : Deliver me from nowhere. De leur côté, les artistes féminines de la chanson ne sont pas en reste : citons Tina, Aline (pour Céline Dion), Judy, Back to black, etc. Souvent, les biopics musicaux sont l’occasion de relancer les ventes pour un artiste et d’engendrer a minima une nomination aux Oscars, voire l’obtention de la récompense suprême pour l’acteur. Dernier-né des biopics des stars de la chanson, Springsteen : Deliver me from nowhere n’échappe pas aux passages obligés de ce type de films (événement traumatique, reconstitution de la création des morceaux) mais se singularise par un point de vue original sur la personnalité en question, la filmant non en pleine gloire ou ascension mais en complète dépression.
En 1982, Bruce Springsteen commence à travailler sur son sixième album studio, Nebraska. Après le succès de The River et de sa tournée, il veut revenir à quelque chose de plus simple, dépouillé et très personnel. L’artiste va donc enregistrer ce nouvel album de la manière la plus sobre et la moins compliquée possible : sur une cassette à quatre pistes dans sa chambre du New Jersey. Le jeune musicien, sur le point d’accéder à une notoriété mondiale, lutte pour concilier les pressions du succès et les fantômes de son passé.
Springsteen : Deliver me from nowhere n’échappe pas aux passages obligés de ce type de films mais se singularise par un point de vue original sur la personnalité en question, la filmant non en pleine gloire ou ascension mais en complète dépression.
De Bruce Springsteen, même le moins fan connaît l’énergie débordante, l’optimisme contagieux, cette fougue, cette passion qui le pousse à délivrer pour son public des concerts-marathons d’exception le laissant souvent au bord de l’apoplexie. Parmi les stars du rock, Bruce occupe une place complexe, héritant d’une origine prolétaire (contrairement aux Beatles, Stones, Pink Floyd, étudiants dans des écoles d’art), d’un statut inconfortable de nouveau Dylan dans les années 70, et se distinguant surtout par son charisme herculéen de performeur en concert. Ce biopic de Scott Cooper choisit une perspective singulière sur le personnage, révélant au grand public ce qui avait déjà percé pour les fans dans sa biographie écrite, la dépression tenace qui le hante depuis des années. La période choisie est également très originale puisqu’il s’agit de la période entre deux eaux se sitant entre The River, le double album contenant l’un de ses plus grands tubes, Hungry Heart, et la sortie de Nebraska, l’un de ses disques les plus méconnus mais aussi l’un de ses plus personnels et authentiques.
Pour décrire cette période, Scott Cooper dispose de Jeremy Allen White, l’excellent acteur de la série The Bear. Contrairement à Timothée Chalamet (même si ce dernier a bénéficié d’une prothèse nasale pour son interprétation de Dylan, fait peu répertorié), Jeremy Allen White ne ressemble pas vraiment à son modèle, mais plutôt à une sorte de Vincent Lindon dans ses jeunes années. Néanmoins, en reprenant toutes les poses favorites du Boss, (cette façon de se situer un peu de travers, allongé, par rapport à l’objectif), Jeremy Allen White parvient à transcender cette absence a priori de ressemblance, surtout en interprétant lui-même en concert ou dans sa chambre en acoustique les chansons de Springsteen. Le travail accompli est remarquable, au même titre qu’un Phoenix pour Johnny Cash ou un Chalamet pour Dylan, à s’y méprendre totalement, l’acteur reprenant à la syllabe près les intonations vocales du chanteur.
Or, si la performance de Jeremy Allen White s’avère techniquement irréprochable, ainsi que la reconstitution de cette période de transition dans le New Jersey, le film est peut-être moins convaincant en soi sur la fameuse thématique de la dépression. Avouons que le défi est plutôt difficile : comment ne pas rendre déprimant et ennuyeux un film sur la dépression. Seuls peut-être Bob Rafelson dans Five easy pieces, et Antonioni dans la plupart de ses films, y sont véritablement arrivés. En l’occurrence, Scott Cooper documente ici avec précision et justesse l’état psychologique de Bruce Springsteen en ce début des années 80, entouré des romans gothiques de Flannery O’Connor, des films de Terrence Malick (La Balade Sauvage) et Charles Laughton (La Nuit du Chasseur), sans parvenir à donner une véritable forme et une réelle consistance à cette fameuse dépression, à la faire exister comme un antagoniste dramatique à vaincre. Il recourt à un procédé un peu éculé, celui des flash-backs en noir et blanc pour figurer des épisodes traumatiques situés dans le passé, les accès de terreur occasionnés par le père de Springsteen, souffrant de problèmes mentaux et de pulsions de violence. Il termine surtout son film alors que Springsteen craque dans une séance face à un psychanalyste (petit arrangement avec la réalité car Springsteen n’a commencé à suivre une psychanalyse qu’à partir de 1988). Un carton suit : dix mois plus tard, et on retrouve Bruce guéri, sortant de scène et en voie de réconciliation avec son père. Pourtant le véritable intérêt du film se situait peut-être dans ces dix mois escamotés et la manière dont Springsteen a réussi à vaincre la dépression qui le hantait.
De cette période, sont surtout sortis Nebraska, ce merveilleux album, très triste et personnel, traversé par des histoires de serial-killers et de losers, et la première moitié des chansons de Born in the USA, l’album qui a propulsé Springsteen au sommet de la gloire. En dépit des quelques imperfections signalées, il se passe néanmoins quelque chose à travers ce biopic. Mais ce quelque chose n’appartient sans doute pas à Springsteen mais plutôt à Scott Cooper, dont nous avions déjà remarqué le talent dans Crazy heart, un autre biopic de musicien ou Hostiles un western assez peu conventionnel. En dédiant à la toute fin son film à son père James Cooper, Scott Cooper montre comment il s’est réapproprié le projet, en en faisant un chemin de réconciliation et un hommage d’un fils à son père.
Note : 3/5.
RÉALISATEUR : Scott Cooper
NATIONALITÉ : américaine
GENRE : biopic, musical
AVEC : Jeremy Allen White, Jeremy Strong, Paul Walter Hauser, Odessa Young
DURÉE : 2h
DISTRIBUTEUR : The Walt Disney Company France
SORTIE LE 22 octobre 2025


