Rashid Masharawi fait des films depuis la fin des années 1980. Il est né à Gaza et a produit le documentaire filmé dans l’urgence qui décrit la situation dans son pays au lendemain du 7 octobre, From Ground Zero. Mais il aborde ici la fiction à travers ce film tourné en 2022, donc bien avant les évènements. C’est l’histoire d’un jeune garçon de 12 ans, Sami, qui vit en Cisjordanie en compagnie de sa mère, et dont le pigeon s’est enfui on ne sait où. Or, Sami tient beaucoup à son pigeon qui lui a été offert par son oncle Kamal. Et comme on lui dit que l’animal a dû retourner à son ancien foyer, il décide d’aller l’y chercher à Bethléem. Débute alors un road movie qui nous entraîne de Bethléem à Jérusalem, puis jusqu’à la ville côtière de Haïfa, entraînant Sami, sa cousine Maryam et Kamal, son oncle, dans un périple ponctué de rencontres avec de vieilles connaissances ou un conducteur en panne qui cherche à rejoindre sa voiture.
En toile de fond, la situation difficile des palestiniens en proie à l’oppression israélienne se dessine: check-points où les policiers fouillent consciencieusement et même avec zèle le contenu de la fourgonnette, Maryam contrainte de passer à travers un détecteur de métaux au cas où elle porterait sur elle les pièces d’un engin explosif, l’humiliation, n’est jamais bien loin. Innocente mais farouche Maryam qui se destine au métier de journaliste, filmant Sami comme sujet de son prochain devoir. Obligée de travailler, elle tient aussi une boutique appartenant à son père. Difficultés financières obligent: toute la famille travaille. Et puis il y cet ami de Kamal rencontré par hasard qui l’informe de son expulsion prochaine, dépossédé de son terrain par les colons israéliens. En somme, on n’échappe pas, malgré l’évasion que constitue le voyage à travers Israël, aux vicissitudes de la réalité quotidienne. L’épisode du colis suspect manifeste quant à lui le climat de tension qui existe toujours au sein de la population.
Le pigeon se trouve ailleurs, toujours ailleurs, à tel point que, personnage invisible du film, il semble symboliser cet au-delà mythique à la recherche duquel se lance le héros type du road movie.
A chaque étape, la quête du pigeon rebondit pour nous entraîner dans une ville nouvelle. Le pigeon se trouve ailleurs, toujours ailleurs, à tel point que, personnage invisible du film, il semble symboliser cet au-delà mythique à la recherche duquel se lance le héros type du road movie. Espace de liberté qu’on rêve libéré des contingences matérielles et morales de la vie quotidienne, but jamais atteint mais toujours poursuivi. Mais l’essentiel ne se trouve-t-il pas plutôt dans le cheminement psychologique – symbolisé par la route, part matérielle de l’itinéraire mental – effectué par les personnages?
Sami doit laisser à l’oiseau sa liberté comme ses rêves poursuivre leur chemin. La cage n’est-elle pas le pendant de l’espace étroit et surveillé de près au sein duquel survit tant bien que mal le peuple palestinien en proie aux affres du régime répressif israélien. Si le film se termine par un échec, comme c’est souvent le cas du genre – cf. la fin tragique de Bonnie and Clyde (1967) d’Arthur Penn – il ouvre paradoxalement sur un nouvel espoir, celui d’un gamin déterminé à vivre quoi qu’il en coûte et sans regrets sa vie d’enfant. Et puis, au bout du chemin, il y aussi une réconciliation possible – seulement possible car le film ne nous donne pas le fin mot de l’histoire – entre Kamal et sa sœur. Des personnages qui évoluent, un rapport tendre et compréhensif entre les personnages – la détermination de Sami et la patience sans bornes de Kamal – un ton poétique et symbolique à la fois. Un délice de film à voir en se laissant bercer par les cahots de la route.
RÉALISATEUR : Rashid Masharawi NATIONALITÉ : Palestine, France, Suède, Arabie Saoudite GENRE : Drame AVEC : Ashraf Barhom, Emilia Massou, Adel Abu Ayyash DURÉE : 1h25 DISTRIBUTEUR : Coorigines Distribution SORTIE LE 2 avril 2025