Scandale : des bombes au bureau

Alors que le procès de Harvey Weinstein vient de commencer en janvier, Scandale tombe à point nommé pour évoquer Weinstein, sans en parler directement, en traitant le cas de Roger Ailes, fondateur et PDG de Fox News, accusé de harcèlement sexuel par de nombreuses employées de la chaîne d’information. Fox News est aussi particulièrement stigmatisée pour son positionnement pro-trumpiste en 2016, raison pour laquelle Disney a souhaité supprimer le nom de Fox dans l’intitulé de la société qu’elle a rachetée. Scandale se trouve donc doublement dans l’actualité. Signalons également qu’une série de la chaîne câblée Showtime The Loudest Voice a été consacrée récemment à Roger Ailes (Russell Crowe obtenant le Golden Globe 2020 du meilleur acteur pour ce rôle). Soutenu par une distribution de rêve (Theron, Kidman, Robbie), le film interagit complètement avec les thématiques extrêmement actuelles du pouvoir, de la domination patriarcale et de l’indépendance féminine.

Scandale possède largement son lot de scènes mémorables et de belles performances d’acteurs, pour que le spectateur puisse y trouver son plaisir, tout en défendant une cause nécessaire et louable.

Trois femmes belles, talentueuses et ambitieuses travaillent à la chaîne d’information Fox News. L’une, Megyn Kelly, correspondante superstar de la chaîne, a des difficultés récurrentes avec Donald Trump qui l’assaille de piques misogynes ; Gretchen Carlson anime une émission matinale, Fox and Friends,  très populaire ; la troisième, Kayla Pospisil, travaille d’abord comme assistante pour Gretchen avant de prendre son envol et de devenir journaliste d’information…Gretchen décide un jour de briser la loi du silence existant autour de Roger Ailes et ses pratiques de harcèlement sexuel.

Jay Roach illustre le phénomène assez récent des cinéastes comiques qui passent au drame, comme l’ont fait ces dernières années d’autres collègues, Adam McKay (The Big ShortVice), Peter Farrelly (l’oscarisé Green Book) et Todd Phillips (Joker). Ce phénomène qu’on pourrait qualifier de Wilder inversé (ce sacré Billy étant passé lui, des drames aux comédies, un peu comme Bruno Dumont dans le cinéma d’aujourd’hui) montre qu’avec la maturité venue, les comiques se reconvertissent assez facilement dans la critique sociale, voire politique, comme si l’humour représentait une porte ouverte à la remise en question de préjugés et de conservatismes. Car Jay Roach, vous vous en souvenez peut-être, ce sont les Austin Powers ou encore Mon beau-père et moi. Dans son changement de style à 180°, il ne se rapproche pas du classicisme sage de Peter Farrelly ou du style scorsesien de Todd Phillips mais plutôt du style vibrionnant et simili-télévisuel d’Adam McKay. On retrouve en effet les mêmes effets de montage cut, la même multiplicité de protagonistes présentés par des incrustations à l’image, afin de ne pas perdre de temps, la même direction d’acteurs au cordeau, avec des métamorphoses physiques à la clé.

Autant dire que tout cela s’avère extrêmement efficace. On se souviendra longtemps des scènes où le monstrueux Roger Ailes (fantastique John Lithgow) demande à ses employées qu’elles lui témoignent leur loyauté, en leur laissant trouver la manière la plus adéquate de le faire. On peut également signaler une remarquable apparition de Malcolm McDowell en Rupert Murdoch, patron des patrons. Sans aller trop loin dans l’indécence, ce qui serait contre-productif par rapport au sujet, Jay Roach réussit à montrer comment un patron peut obtenir une totale dépendance -parfois sexuelle – de ses employés et filme quelques séquences hallucinantes où des femmes, inconscientes du joug auxquelles elles sont soumises, militent contre leur propre cause, dans la TeamRoger, en distribuant des tee-shirts au nom de leur champion. De plus, si l’on parle de métamorphose physique, celle de Charlize Theron en Megyn Kelly se révèle stupéfiante de justesse, démontrant l’incroyable capacité de cette actrice légèrement sous-estimée (cf. ses formidables prestations chez Jason Reitman, Young Adult ou Tully) de pouvoir se transformer, non seulement par le maquillage mais par un travail extraordinaire sur la voix. Lorsqu’on se souviendra des années 2010, en matière de cinéma, une image iconique peut-être seule surnagera, celle de l’Impératrice Furiosa à genoux dans le désert, symbole pré#MeToo d’un possible changement d’ère. Avec Scandal, le changement d’ère se trouve bel et bien là.

A la manière de The Hours ou Big Little Lies, les prestations de Nicole Kidman et Margot Robbie encadrent et mettent en valeur celle de Charlize Theron. Certes, il ne s’agit pas d’une franche sororité, ce que ne cherche pas à masquer Jay Roach, les raisons les poussant à se rebeller tenant plus de la revanche personnelle et de l’ambition individuelle. Néanmoins, il semble malvenu, surtout lorsqu’on est une critique femme, quand un film traite d’un sujet aussi important et inédit au cinéma, de vouloir se focaliser de manière erronée, en guise de toute réflexion critique, sur les opérations de chirurgie esthétique de l’une ou de l’autre (en passant, Theron n’y a pas recouru et a utilisé dans ce film les ressources du maquillage et des prothèsistes tandis que Kidman a abandonné le botox depuis une dizaine d’années), pour donner raison aux trolls misogynes et antiféministes, et éviter à tout prix de souligner les qualités de ce film. Cette position qu’on pourrait qualifier de réactionnaire, stigmatise volontairement le film en le taxant d’opportunisme, comme si s’opposer à des décennies de harcèlement du pouvoir masculin dominant représentait un signe d’opportunisme. Bien que relativement peu surprenant dans sa forme et son issue, Scandale possède largement son lot de scènes mémorables et de belles performances d’acteurs, pour que le spectateur puisse y trouver son plaisir, tout en défendant une cause nécessaire et louable.      

3.5

RÉALISATEUR :  Jay Roach 
NATIONALITÉ : américaine
AVEC : Charlize Theron, Nicole Kidman, Margot Robbie, Malcolm McDowell, John Lithgow
GENRE : Drame, biopic
DURÉE : 1h49
DISTRIBUTEUR : Metropolitan FilmExport
SORTIE LE 22 janvier 2020